dimanche 17 mai 2020 - par micnet

Généalogie de la morale

Friedrich Nietzsche est probablement le penseur moderne le plus brillant. Sa pensée mise en forme à partir d'un style éblouissant constitue un savant mélange de philosophie, de théologie et de psychologie et apporte une lumière qui éclaire la médiocrité de notre époque d'égalitarisme démocratique.

Dans Généalogie de la morale, son ouvrage probablement le plus abouti, Nietzsche pourfend ce qu'il appelle la "morale des faibles" qui s'appuie sur le ressentiment générant la dévalorisation des autres en opposition à la "morale des forts" ou "morale aristocratique" fondée sur la valorisation de soi.

 

Ainsi pour Nietzsche, la morale des faibles oppose les "bons", à savoir ceux qui font preuve d'humilité au sens large ce que Nietzsche dénonce comme étant une hypocrisie car l'humilité en question ne résulterait pas d'un quelconque mérite mais d'une impossibilité pour le "faible" d'agir autrement de par sa faiblesse, face aux "méchants" que sont les puissants car profitant de la condition des faibles. Ainsi pour les faibles, le "méchant" aurait la liberté de choisir d'être ou de ne pas être un puissant. 

Face à cette morale des faibles qui est constitutive de l'époque moderne comme de notre époque contemporaine, Nietzsche oppose la morale aristocratique des forts qui opposerait les "bons", c'est à dire cette fois-ci les forts face aux "mauvais". Le terme "mauvais" est à comprendre ici au sens "d'incapable" ou "d'inapte" et non au sens de "méchant" comme pour la morale des faibles. Et cet état de fait serait un état naturel dichotomique où le libre arbitre des uns et des autres n'existerait pas, les faibles comme les forts ne pouvant agir autrement que ce que leur nature leur commande.

Partant de ces deux conceptions de la morale, Nietzsche considère que la morale aristocratique des temps anciens a été substituée par la morale des faibles à partir de ce qu'il appelle le "ressentiment" desdits faibles, soit une accumulation des frustrations, ayant ainsi conduit à une subversion de la "véritable morale" originelle.

Nietzsche illustre cette "morale du ressentiment" moderne à partir d'une analogie entre les agneaux et les rapaces :

"Les agneaux gardent rancune aux grands rapaces, rien de surprenant : mais ce n’est point là une raison pour en vouloir aux grands rapaces d’attraper les petits agneaux. Mais si ces agneaux se disent entre eux : » Ces rapaces sont méchants ; et celui qui est aussi peu rapace que possible, qui en est plutôt le contraire, un agneau, celui-là ne serait-il pas bon ? », alors il n’y a rien à redire à cette construction d’un idéal, même si les rapaces doivent voir cela d’un œil un peu moqueur et se dire peut-être : « nous, nous ne leur gardons nullement rancune, à ces bons agneaux, et même nous les aimons : rien n’est moins goûteux qu’un tendre agneau. » Exiger de la force qu’elle ne se manifeste pas comme force, qu’elle ne soit pas volonté de domination, volonté de terrasser, volonté de maîtrise, soif d’ennemis, de résistances et de triomphes, c’est tout aussi absurde que d’exiger de la faiblesse qu’elle se manifeste comme force."

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Mais quelle serait l'origine de cette subversion des valeurs passant d'une morale aristocratique à une morale de ressentiment ? Pour Nietzsche, cette subversion remonterait au judaïsme et, plus encore, au christianisme qui en a découlé. En étant (un peu) provocateur, Nietzsche considère, en quelque sorte, que la morale aristocratique relève d'une morale masculine et que la morale du ressentiment relève d'une morale féminine.

 

1 - Le judaïsme ou la figure du pharisien 

Dans les évangiles, la figure du pharisien apparaît comme quelqu'un à la fois de très moraliste et d'hypocrite auquel Jésus s'opposera en permanence. A chaque rencontre, Jésus grâce à son verbe et sa supériorité intellectuelle tiendra constamment en échec les pharisiens qui en accumuleront de la rancoeur et chercheront à le faire mourir, voyant sa popularité de plus en plus importante et craignant de se faire supplanter.

Mais l'erreur qu'ont faite les chrétiens ensuite est d'avoir associé cette figure du pharisien aux seuls juifs, or la figure du pharisien lorsqu'on lit attentivement les évangiles montre qu'il s'agit avant tout d'un comportement psychologique et non d'une figure précise du judaïsme. C'est d'autant plus vrai d'ailleurs que l'église institutionnelle montrera par la suite à quel point elle est devenue encore plus "pharisienne que les pharisiens" dans son moralisme généralisé.

 

2- Le christianisme

Nietzsche considère que la morale du ressentiment a pour essence le christianisme (qu'il distingue de la figure du Christ) car c'est à partir de là que s'instaurera cette "morale de faible". C'est d'ailleurs également l'avis du théologien protestant Jacques Ellul qui, dans son ouvrage La subversion du christianisme écrit ceci :

 "Contrairement à l'idée reçue il n'y a aucun système moral dans la Révélation de Dieu en Jésus-Christ. Il n'y a pas de préceptes moraux qui puissent exister de façon indépendante, en quelque sorte, qui puissent avoir valeur universelle ou puissent servir pour élaborer une morale. Enfin troisième proposition : la Révélation de Dieu en Jésus-Christ est une anti-morale. Non seulement il est impossible de tirer une morale des Evangiles ou des Epîtres, mais bien plus, la proclamation de la grâce, la déclaration de pardon, l'ouverture de la vie à la liberté qui sont les clés de l'Envangile sont en tout exactement le contraire d'une morale. Etant donné que toute conduite, y compris la plus pieuse, la plus morale est englobée dans le péché"

Ainsi, le christianisme en tant que mouvement religieux (à distinguer de la spiritualité) constituerait une trahison de Jésus-Christ en ayant construit un moralisme encore plus massif que le moralisme judaïque des pharisiens et qui fut fondé à partir du ressentiment des masses.

Partant de cette analyse Nietzschéenne, quels enseignements peut-on en tirer pour aujourd'hui ?

 

3 - L'égalitarisme démocratique

La morale chrétienne basée sur le ressentiment contre les riches et les puissants, pour Nietzsche, est à l'origine de cette société moderne égalitariste qui constitue une dégénérescence de la morale aristocratique. 

Si on analyse l'évolution de notre société à travers le prisme nietzschéen, on comprend alors que cet égalitarisme, dont le moteur est le ressentiment et non une quelconque marque d'authentique générosité, explique en tout point ce à quoi nous assistons : gauchisme, antiracisme, néoféminisme avec la théorie du genre, lois mémorielles et son cortège de concurrences victimaires, etc... Et on comprend que des lois contre la "haine" telle que la loi Avia constitue en quelque sorte l'aboutissement du formidable moteur que génère le ressentiment. Et du plus dangereux aussi.

 



207 réactions


    • Laconicus Laconicus 21 mai 2020 15:28

      "entendu parler"


    • Gollum Gollum 21 mai 2020 17:01

      @Laconicus

      Non, à peine : https://www.agoravox.tv/commentaire13281128

      Sur Guyau j’en tire ça de Wikipédia :

      Son œuvre majeure, Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction, profondément novatrice, semble avoir beaucoup impressionné Nietzsche qui avait abondamment couvert les ouvrages de Guyau de notes marginales durant son séjour à Nice. Nietzsche commente et cite abondamment cette œuvre, ainsi que L’Irréligion de l’avenir, autre œuvre importante de Guyau, dans son Ecce homo.

      Toutefois, les œuvres majeures de Nietzsche ont été rédigées avant la parution de l’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction et on peut plutôt parler de communauté d’esprit sur certains aspects de leur pensée respective que d’inspiration.

      Lol cassée toute votre argumentation... smiley

      Nietzsche cite Guyau et donc pas de soi-disant copié/collé souterrain comme vous voulez le faire croire...

      Mieux, le dernier § balaie l’idée d’inspiration... Bref, N. est bien l’auteur de son œuvre à 100 %... 

      Allez c’était bien essayé mais voilà, c’est un bide... smiley


    • Laconicus Laconicus 22 mai 2020 22:19

      @Gollum

      "Lol cassée toute votre argumentation... 

      Nietzsche cite Guyau et donc pas de soi-disant copié/collé souterrain comme vous voulez le faire croire..."


      Vous ne cassez rien du tout puisque vous faites des gestes dans le vide en vous battant contre un fantôme sorti de votre imagination (c’est pas trop fatiguant comme sport ?) Je n’oserai d’ailleurs même pas parler d’argumentation concernant mes propos sur ce fil où j’essaie seulement de vous offrir un peu d’instruction.

      Car, où diable (à bigot) avez-vous vu que j’écrivais que Nietzsche aurait procédé "à des copié/collé souterrains", qu’il avait commis un plagiat, qu’il n’était pas l’auteur de ses livres ou d’autres sottises de ce genre ? Je vous répète que c’est sa soeur qui a procédé à des manipulations sournoises, chose que tous les connaisseurs de Nietzsche savent bien. Il n’y a même pas de débat à ce sujet ! Qui ignore ces faits ne s’intéresse pas vraiment à Nietzsche. 

      Je connais le petit article de Wiki sur Guyau depuis longtemps. La question reste ouverte de savoir si l’on doit parler seulement de communauté d’esprit sur certains aspects de leur pensée respective ou de réelle influence sur un point ou un autre. Car le point de similitude évoqué dans l’article n’en est qu’un parmi bien d’autres. La sympathie intellectuelle entre ces deux penseurs qui ne se sont à ma connaissance jamais rencontrés (ou secrètement ?) reste un domaine d’étude actif auquel vous feriez bien de vous intéressez, plutôt que d’essayer de vous en débarrasser.

      La soeur de Nietzsche n’aurait de toute façon même pas supporté qu’on publie ouvertement l’information selon laquelle un autre que son frère aurait pu avoir les mêmes intuitions. Il y a Guyau et il y en a d’autres. Et puisque vous puisez vos certitudes dans Wikipédia, vous devriez aussi lire cet article, en particulier la partie concernant Alfred Fouillée (le beau-père de Guyau) :
      https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ternel_retour_(concept_nietzsch%C3%A9en)#Historique


  • micnet micnet 19 mai 2020 23:13

    @Gollum&Yoananda2

    Concernant des textes ou des citations de N critiques sur Jésus, si vous en avez de précises, ça m’intéresse.

    En attendant, voilà par exemple ce qu’écrit N dans l’antéchrist à propos de Jésus :

    "Le sort de l’Évangile se décida au moment de la mort, il était supendu à la « croix ». Ce fut la mort, cette mort inattendue et ignominieuse, la croix qui généralement était réservée à la canaille[14], cet épouvantable paradoxe seul amena les disciples devant le véritable problème : « Qui était-ce ? qu’était cela ? » On ne comprend que trop bien le sentiment ému et offensé jusqu’au fond de l’être, l’appréhension qu’une pareille mort puisse être la réfutation de leur cause, le terrible point d’interrogation : « Pour­quoi en est-il ainsi ? » Là tout devait être nécessaire, avoir un sens, une raison, une raison supérieure ; l’amour d’un disciple ne connaît pas le hasard. Ce n’est que maintenant que s’ouvrit l’abîme : « Qui est-ce qui l’a tué ? qui était son ennemi naturel ? » Cette question surgit comme un éclair. Réponse : Le judaïsme régnant, sa classe dirigeante. Depuis lors on se trouva en révolte contre l’ordre, on interpréta postérieurement Jésus comme un révolté contre l’ordre établi. Jusqu’ici ce trait guerrier et négatif man­quait à son image ; plus encore, il en était la négation. Il est évident que la petite communauté n’a pas compris l’essentiel, l’exemple donné de cette façon de mourir, la liberté, la supériorité sur toute idée de ressentiment : cela prouve combien peu elle le comprenait ! Par sa mort Jésus ne pouvait rien vouloir d’autre, en soi, que de donner la preuve la plus éclatante de sa doctrine… Mais ses disciples étaient loin de pardonner cette mort, ce qui eût été évangélique au plus haut degré ; ou même de s’offrir à une pareille mort en une douce et sereine tranquillité d’âme. C’est le sentiment le moins évangélique, la vengeance, qui reprit le dessus. Il était impossible que cette cause fût jugée par cette mort ; on avait besoin de « récompense », de « jugement » (et pourtant qu’est-ce qui peut être plus contraire à l’Évangile que la « récompense », la « punition », le « jugement ! ») L’attente popu­laire d’un messie revint encore une fois au premier plan ; un moment histo­rique fut considéré : le « royaume de Dieu » descend sur la terre pour juger ses ennemis. Mais c’est là la cause même du malentendu : le « royaume de Dieu » comme acte final, comme promesse ! L’Évangile avait précisément été l’existence, l’accomplissement, la réalité de ce « royaume ». Une telle mort, ce fut là le « royaume de Dieu ». Maintenant on inscrivit dans le type du maître tout ce mépris et cette amertume contre les phari­siens et les théologiens, et par là on fit de lui un pharisien et un théolo­gien ! D’autre part, la vénération sauvage de ces âmes dévoyées ne sup­porta plus le droit de chacun à être enfant de Dieu, ce droit que Jésus avait enseigné : leur vengeance était d’élever Jésus d’une façon détournée, de le détacher d’eux-mêmes, tout comme autrefois les juifs, par haine de leurs ennemis, s’étaient séparé de leur Dieu pour l’élever dans les hauteurs. Le Dieu unique, le Fils unique : tous les deux étaient des productions du ressentiment !"


    • yoananda2 20 mai 2020 00:15

      @micnet

      En attendant, voilà par exemple ce qu’écrit N dans l’antéchrist à propos de Jésus :

      ça fait partie des écrit ou N était délirant ? lol

      Plus sérieusement, je ne comprends pas bien ce texte en lui même. On dirait qu’il penses quel les apôtres eux même n’ont pas compris le message du Christ alors qu’ils l’ont connu de son vivant, contrairement à lui qui ne fait que lire leur témoignage.

      Que fais-t-il de la résurrection ? et de toutes les paroles de consolation du Christ pour "après" (c’est à dire une fois atteint son royaume)

      On dirait que N fait l’impasse la dessus, qu’il comment un récit tronqué des évangiles. C’est très étrange.

      Tout ce que dis N s’appliquerait à merveille s’il n’y avait pas la résurrection ensuite. Parce que bon, il n’y aucun mérite à ne pas avoir de ressentiment si tu es "Dieu" et que tu ressuscite ensuite. Il n’y a de supériorité sur le ressentiment que si tu meurs vraiment.

      D’autre part, est-ce que N parle du fait que seul Jésus est ré-apparu ? des témoignages de gens qui prétendent avoir rencontré Jésus ou Marie, il y en a des tonnes, mais aucun ne prétends avoir rencontre aucun apôtre à ma connaissance (et pour cause, il n’y aucune représentation populaire de ces derniers ! lol). Donc les apôtres n’ont pas ascensionné, atteinte le royaume des cieux comme promis par Jésus ? ce qui suggères une résurrection "tardive", telle que la plupart des chrétiens le conçoivent généralement.

      Bref, est-ce que N parle de tout ça ailleurs ? Sinon je ne comprends pas le passage que tu as cité sans son contexte.


    • Gollum Gollum 20 mai 2020 08:36

      @yoananda2

      À mon avis N. devait considérer toute la mythologie du NT (résurrection, tout ça) comme des apports après-coup de l’homme Jésus.


    • yoananda2 20 mai 2020 10:38

      @Gollum

      À mon avis N. devait considérer toute la mythologie du NT (résurrection, tout ça) comme des apports après-coup de l’homme Jésus.

      Si c’est le cas, alors en effet, ça pourrait coller et dans ce cas, c’est bien le christianisme qui est visé. Il s’agit presque de retirer le Christ et de ne garder que Jésus dans le fond. Et la, je serais d’accord : Jésus fût un grand homme à sa manière, c’est juste le Christ qui fût (et est toujours) un Dieu tout pourri.


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