Quenelle prophétique ou le syndrome du viril persécuté
"La France ne pourrait-elle se fêter autrement ? Ne pourrait-elle se reconnaître dans un 14 juillet rendu à ses origines de révolte populaire – la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789 – ou de fête républicaine – la Fête de la fédération, le 14 juillet 1790 – plutôt qu’un 14-Juillet confisqué par l’imaginaire le plus pauvre ? Car que signifie, au XXIe siècle, sur le continent dont les déchirements furent à l’origine de deux guerres mondiales, se célébrer comme une nation guerrière sinon exprimer une terrifiante peur du monde et de l’avenir ? N’aurions-nous pas d’autres symboles pour nous rassembler que la guerre et ses professionnels, ses conflits et ses drames, ses armées et ses armes, inséparables, l’oublierait-on malgré l’actualité chroniquée par Mediapart, de leurs marchands corrompus et leurs trafics occultes (lire ici, là et encore là les trois premiers volets de nos révélations sur les documents Takieddine) ?" ...
..."
Cette France qui assume son origine étrangère est aussi celle qui assume son histoire populaire. L’institution du 14 juillet comme jour de la Fête nationale n’a rien à voir avec une démonstration militaire et tout à voir avec la restauration républicaine. Comme l’a rappelé récemment Antoine Perraud sur Mediapart (lire ici son article), la loi du 6 juillet 1880 ayant pour article unique « La République adopte le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle » fut méchamment combattue par les conservateurs de l’époque qui ne toléraient pas ce rappel des événements révolutionnaires, d’insurrection et de fondation populaires.
Les républicains opportunistes qui venaient tout juste de conquérir l’ensemble des leviers du pouvoir, avec la présidence de Jules Grévy succédant au royaliste Mac-Mahon, ne s’en sortirent qu’en ajoutant à l’évocation de la prise de la Bastille en 1789 celle de la Fête de la fédération. Tenue un an plus tard, le 14 juillet 1790, cette journée-là « n’a coûté ni une goutte de sang ni une larme », soulignera pour apaiser la querelle le rapporteur au Sénat de la loi sur la Fête nationale, érigeant cette date en « symbole de l’union fraternelle de toutes les parties de la France et de tous les citoyens français dans la liberté et l’égalité ».
Il s’agit donc, dans ce moment de refondation républicaine dont les grandes lois scolaires de 1881-1882 seront l’accélérateur décisif, d’installer durablement la République face aux conservateurs qui ne l’acceptent toujours pas. Rien n’est encore définitivement acquis et le siège des pouvoirs publics n’a quitté Versailles, où il était installé depuis 1871, pour Paris qu’en 1879. Le souvenir de la Commune de Paris, où le peuple ouvrier fut massacré par les Versaillais – 20.000 morts au bas mot et près de 10.000 déportations – qui avaient préféré pactiser avec l’Allemagne par peur de la révolution sociale, imprègne ce débat de 1880 sur le 14 juillet. A tel point que, quatre jours après l’adoption de la loi sur la Fête nationale, le Parlement vote l’amnistie pour les condamnés de la Commune.
Les deux faits sont liés : la Fête nationale à la date anniversaire de la prise de la Bastille et la réintégration des Communards proscrits dans la vie publique. Dans l’imagerie qui témoigne de ce premier 14-Juillet, le retour annoncé des Communards est omniprésent, par exemple dans cette lithographie anonyme où Marianne porte un bonnet phrygien, attribut révolutionnaire qui, officiellement, est encore interdit, depuis une circulaire de 1872. Or, en arrière-plan à gauche, on distingue le bateau La Loire qui assure la liaison avec la Nouvelle-Calédonie et, donc, le « retour des absents », c’est-à-dire des communards déportés parmi lesquels l’exceptionnelle Louise Michel."...
http://www.mediapart.fr/journal/france/170711/en-defense-deva-joly-leur-14-juillet-et-le-notre
... « On ne pourra pas oublier que j’ai accueilli tout le monde », confiait le général de Gaulle à André Malraux dans leur conversation crépusculaire dont rendait compte en 1971 Les Chênes qu’on abat..., après que son interlocuteur lui eut rappelé qu’il fut à la tête d’une sorte de « Légion étrangère », oui, étrangère. Tout le monde donc, sans aucune distinction. Face à ceux qui, aujourd’hui, s’en réclament indûment en s’en prétendant les héritiers alors qu’ils en sont les liquidateurs, il faudrait aussi relever le gaullisme. Ce gaullisme des Compagnons de la Libération dont l’ordre, créé le 16 novembre 1940, ne prévoit aucun critère non seulement d’âge, de sexe, de grade, mais aussi d’origine ni même de nationalité. De fait, 15% d’entre eux sont nés hors de métropole, soit dans les anciens territoires coloniaux français, soit à l’étranger, et l’on compte vingt-cinq nationalités parmi ces libérateurs ayant reçu un morceau de la vraie croix gaulliste.
La chasse obsessionnelle à l’immigré et à l’étranger n’est pas seulement une négation de l’histoire humaine du peuple français dont la spécificité en Europe est d’avoir été nourri de brassages et de déplacements, de migrations intérieures et d’immigrations extérieures. C’est aussi nier l’histoire politique d’une nation républicaine qui s’est inventée, ressourcée et défendue par le détour du monde, de sa relation au monde, de ses liens avec d’autres peuples, d’autres cultures, d’autres continents.
La dérive actuelle qui, pour la première fois depuis les années 1930, fait resurgir une droite extrémisée, faisant de la peur ou de la haine de l’étranger son fonds de commerce marécageux, ne menace pas seulement nos valeurs républicaines. Elle met en péril la France elle-même, parce que celle-ci n’existe pas sans cette imbrication au monde. Incapable de réinventer la France dans un monde postcolonial où la relation ne serait plus de domination, où l’ailleurs ne serait pas donné par la possession, où l’autre serait enfin un égal, ces apprentis sorciers préfèrent tourner le dos au monde. "
Je dois préciser que je ne suis ni pour la proposition de E. Joly ni d’accord avec l’ensemble de l’article de E Plenel. Mais les attaques xénophobes et ad hominem dont a fait l’objet E Joly révèle ce que se joue pour la prochaine présidentielle. Le débat est déplacé là où cela flatte le narcissisme individuel des gens aux détriments d’intérêt général.