samedi 28 septembre 2013 - par Serge ULESKI

Penser le monde aujourd’hui avec Frédéric Lordon

 


Frédéric Lordon, économiste et philosophe, vient de faire paraître La Société des affects – Pour un structuralisme des passions (Éditions du Seuil) : la passion en politique et en économie ; la question d’une éventuelle sortie de l’Euro au profit d’une monnaie non plus unique mais commune, après un retour aux monnaies nationales ainsi que le recours à la notion de Nation au sein d’une souveraineté populaire qui soit à la fois irrécupérable par l’extrême droite et susceptible de ré-ouvrir des possibilités démocratiques.

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37 réactions


  • le naif 28 septembre 2013 11:11

    J’aime vraiment beaucoup Frédéric Lordon, mais là, il est dans une impasse idéologique : Pas facile de rester à l’extrème gauche tout en admettant que le projet économique du FN est plus cohérent que celui du NPA ou du FDG... La quadrature du cercle à laquelle s’est déjà heurté Todd qui lors de la campagne 2012 faisait le même constat, mais appelant tout de même à voter Hollande.... en rêvant d’un hypothétique socialisme révolutionnaire...
    Il souligne à juste titre le virage à 180° du FN en matière économique, (au moins dans le discours), je lui ferai remarquer que le PS & Le PC ont fait exactement le même virage , dans l’autre sens, de l’anticapitalisme du programme commun de 1981, au néolibéralisme, européiste, atlantiste actuel.....


    • Emile 28 septembre 2013 13:34

      C’est dommage que quelqu’un qui fréquente agoravox et qui écoute des personnes aussi éminentes que Mr. Lordon n’est pas compris le manège de la politique politicarde... Toutes les choses que propose le FN ne portent pas forcément en elle de la xénophobie nationaliste radicale. La stratégie de ce partie est de s’accaparer certaines idées dissidentes afin de gagner en électorat. Et cela a pour effet de stigmatiser ces idées en les amalgament à la notion populaire "d’extrême droite". 

      Il faut arrêter de prend ce que nous vomissent les médiats de masse pour le réelle et redéfinir les mots librement. 
      Ma définition d’un pan de l’idéologie que reprénte pour moi l’extrême droite, qui est surement un peu bancale, est la suivante : Est d’extrême droite toute personne, ou mouvement, qui tant à défendre les ultra-riches, les 1%, qui veulent préserver le statu quo qui permet, à ces privilégiés de l’ère moderne, de s’engraisser grâce au féodalisme capitaliste. Voila pour moi ce qu’est la droite dur. Je pense qu’elle a le mérite de pouvoir éclaircir ce que devrait être la "gauche".

      Ne nous laissons pas berner par ce petit jeu d’épouvantail, "l’extrême droite", qui ne dit pas son nom, est au pourvoir depuis 40 ans et petit à petit permet aux possédant d’étendre leur champs d’action économique et politique ; nous nous en étions débarrassés grâce au CNR et De Gaule, qui nous on donnés la majeur partie des institutions anti-capitalistes dont nous jouissons encore aujourd’hui, la sécurité social en tête, institutions que veulent, et réussissent, à détruire les réformateurs, pantins des puissants. 

  • Oxalis 28 septembre 2013 11:52

    ’ contenu privé ’ si quelqu’un pouvait nous expliquer !


    • Oxalis 28 septembre 2013 13:36

      le contenu se sera libéré tout seul depuis. merci *  smiley


  • Lisa Sion Lisa Sion 28 septembre 2013 12:27

    Tout est question d’idiosyncrasie monétaire allemande...n’est ce pas joliment dit ?


  • Éric Guéguen Éric Guéguen 28 septembre 2013 13:52

    J’espère que ce n’est pas Lordon lui-même qui a refusé de rendre publique cette vidéo, pour un ennemi du capitalisme, ça fait mauvais genre ! smiley
     
    Plus sérieusement, je ne sais pas si la vidéo correspond exactement à la présentation, mais si c’est le cas ça s’annonce mal. En gros : comment rétablir la démocratie sans ceux que l’on considère comme ses ennemis... un truc a dû m’échapper.
    Ceci après l’affaire Michéa, j’ai l’impression que Lordon se crispe idéologiquement, ça ne va pas lui rendre service, dommage !


  • Vla l'Jean Jean Valjean 28 septembre 2013 14:36
    "Private content.We’re sorry, but we cannot display this content because it has been labelled private by its author."
    -
    Une autre source pour la vidéo ???
    Raahh mais mettez donc vos vidéos sur des serveurs fiables comme Rutube par exemple...

  • sortec sortec 28 septembre 2013 15:57

    Le journaliste est bizarre. C’est un programme pour malentendants ? smiley


  • Serge ULESKI Serge ULESKI 28 septembre 2013 16:11

    La première vid que j’ai mise en ligne était en accès libre hier soir tout comme Médiapart. Ce matin, ils l’ont fait passé en vid réservée aux abonnés.

    (NB : je ne suis plus abonné à Médiapart ... j’en ai été viré pour avoir dit que Dieudonné c’est drôle et que Soral c’est intelligent)

    Agoravox semble avoir trouvé une autre vid qui est elle en accès libre.

    Merci à eux.


    • Vla l'Jean Jean Valjean 28 septembre 2013 17:36

      "Agoravox semble avoir trouvé une autre vid qui est elle en accès libre.
      Merci à eux."

      -

      Cool !

      -

      "j’en ai été viré pour avoir dit que Dieudonné c’est drôle et que Soral c’est intelligent"

      Ah ouais, effectivement ça craint quand même pas mal... J’aimerai pas avoir un tel truc sur la conscience, mais en faisant un gros don à une paroisse, un curé devrait arriver à le confesser.


  • Vla l'Jean Jean Valjean 28 septembre 2013 19:18

    "Souveraineté et Nation" mais il va se faire lyncher par "le camp du bien" Européiste et anti-nation le Frédo...


    • Éric Guéguen Éric Guéguen 28 septembre 2013 19:30

      Non, il n’est pas exclu que les rêveurs de la gauche radicale finissent par comprendre les bienfaits des frontières.


    • Tomek Tomek 28 septembre 2013 19:30

      c’est pour ça qu’on l’aime :D


  • Qaspard Delanuit Gaspard Delanuit 29 septembre 2013 01:27

    Tout ce qu’il dit est intéressant en mettant à part, évidemment, les stupidités lamentables qu’il énonce sur la "drouate et la gôche". Car il est impossible de dire quelque chose d’intelligent et d’utile en utilisant des concepts indigents. La bi-polarisation mentale est précisément l’un des pires maux de la "société des affects", une saloperie qui mine tous les débats politiques et qu’il faut éradiquer pour pouvoir commencer à penser le réel. 


    • O Scugnizzo O Scugnizzo 29 septembre 2013 11:32

      +1, mais faut reconnaître que ça décrédibilise pas mal tant son propos que son action. Et puis, cet élitisme de gauche va bien avec l’utilisation d’un jargon impossible dans un contexte où l’action est proche et donc une certaine vulgarisation du savoir nécessaire. Il se complaît à être dans cette hyper-classe intellectuelle vivant dans une tour aseptisée des "us et coutumes", dans un style parfaitement libéral, style de vie qu’il n’arrête pourtant pas de critiquer via l’économie. J’ai ouï dire qu’il avait critiqué Michéa. Il a tout à y gagner à l’écouter, et ceci de manière très attentive.


    • Éric Guéguen Éric Guéguen 29 septembre 2013 13:17

      Salut à vous.
      Je viens justement de lire la critique qu’il adresse à Michéa, et j’avoue qu’elle est très bien faite. Je tenterai d’en dire quelques mots ici même, à l’occasion, mais, bien que me sentant plus d’affinités avec Michéa, Lordon vise juste sur certains points, il faut l’admettre. J’ai lu aussi celles d’Halimi et de Boltanski (rien à en retenir), ainsi que celle de Corcuff, limite police de la pensée.
      Me reste à découvrir la réponse de Michéa à tout ce petit monde.


    • Qaspard Delanuit Gaspard Delanuit 29 septembre 2013 23:52

      Bonjour Eric et O...


      Un dialogue vivant (oral) entre Michéa et Lordon serait bienvenu.

      Pour ceux qui ne savent pas de quoi il s’agit, on trouve ici un assez bon résumé :



    • Éric Guéguen Éric Guéguen 30 septembre 2013 09:18

      Bonjour Gaspard.
       
      Ce lien-là, si je puis me permettre, est bien mieux fourni :
      http://ragemag.fr/michea-retour-sur-la-controverse-37310/


    • Qaspard Delanuit Gaspard Delanuit 30 septembre 2013 11:12

      Intéressant développement, en effet ! 


    • Caracole Caracole 30 septembre 2013 18:28

      éradiquer le dualisme ? N’avez-vous jamais remarqué que les concepts marchent toujours pas paire ? Tout suscite son contraire (c’est à dire rien). La gauche et la droite sont des concepts issus de l’histoire française moderne, vous ne pouvez simplement balayer 200 ans d’histoire d’un revers de la main ! Vous ne pouvez non plus effacer ces mots du dictionnaire politique. Ce sont des forces de l’imaginaire politique français par lesquelles s’exercent nos passions collectives. Vous n’avez visiblement pas compris Lordon, il ne dénonce pas la société des affects, mais décrit les affects qui gouvernent la société. Lui même choisit la passion de gauche, s’incrivant pleinement dans la société et non au dessus comme certains semblent lui reprocher.


    • Éric Guéguen Éric Guéguen 30 septembre 2013 22:42

      Le problème de cette dichotomie sèche et sans nuance, c’est que les gens y croient tellement qu’ils en deviennent dogmatiques (et, excusez-moi, mais c’est surtout la cas à gauche).
      C’est un peu * beaucoup ! - comme au théâtre : côté cour à droite, côté jardin à gauche, rien de plus. Or, certains sont convaincus d’êtres jardiniers !
      Il est grand temps de se déniaiser, de céder à la nuance et de voir qu’aucun de nous ne correspond strictement à ces catégories sociologiques ; elles ne sont là que pour montrer deux voies distinctes aux troupeaux de gogos électeurs que nous sommes...


  • amest 29 septembre 2013 21:38

    J’aime bien Lordon.

    Mais ce qui m’énerve, c’est que, comme Mélenchon, on commence d’abord par tailler un costard au FN avant d’exprimer ses idées.
    .
    Pourquoi toujours cette comparaison ?
    Pourquoi se comporter d’abord en "directeur de pensée" ?
    Par faiblesse de conviction ?
    .
    Quand on a des idées politiques à exprimer (et qu’on y croit), on n’a pas besoin de commencer par la critique.

  • O Scugnizzo O Scugnizzo 29 septembre 2013 23:59

    Merci Eric Guéguen pour le lien. Je dois dire que j’ai été assez déçu de la critique de Lordon, je dirai même que celle-ci est une illustration assez intéressante des analyses de Michéa, à savoir l’homme de gauche qui ne jure que par le progrès, qui se prend pour un homme de progrès, membre d’une minorité éclairée, sans jamais se replacer dans une structure sociale, une dynamique sociale, alors qu’il est le premier à le faire pour les autres, notamment lorsqu’il dit - affirmation qui effleure à peine une partie de vérité - que si le peuple (vs élite) est fondamentalement bon, c’est parce qu’il n’a pas les possibilités matérielles d’être mauvais. Outre la vacuité d’opposer un argument contre-caricatural à un autre considéré comme tel, Michéa ne dit pas que le peuple est bon, mais est dans sa généralité décent, en ce sens où effectivement les conditions de la vie réelle font qu’il se trouve obliger de se conduire d’une certaine manière. Or, par définition, l’aspiration à une vie tranquille, à un métier plaisant, à fonder une famille exclut la personne des hautes sphères sociales - du journaliste qui va tapiner chez les politiciens, du scientifique qui passe ses journées seul dans un labo ou du banquier partouzeur cocaïnomane qui se marie uniquement car ceci le rend plus "employable et sympathique". Cette hyper-classe mondialisée (ou facilement mondialisable) est loin de la réalité sociologico-économique majoritaire, à savoir du salariat généralisé et des "problèmes ordinaires", et en ceci elle a une (très très forte) tendance à ne plus avoir les pieds sur terre. Lordon fait bel et bien partie de cette hyper-classe, côté intellectuel universitaire de gauche. Son jargon fermé, son amour revendiqué pour cette classe coupée du monde s’adonnant à l’affinement des concepts sans ressentir de dette morale me paraissent les meilleurs indices d’une telle appartenance. Certes, il représente ce qui se fait de mieux dans une telle classe, mais comme chez le peuple il n’y a ni une entière nécessité ni une entière vertu, il en va de même chez cette élite que glorifie Lordon dans ses interviews, parce que "ça fait progresser la connaissance". Trop facile de ne considérer que les avantages sans les dégâts collatéraux, et de reprocher la même chose à Michéa, en convoquant le crime des crimes - l’attitude des masses sous Hitler ! (en feignant par ailleurs la synonymie entre peuple et masse). Bref, Lordon c’est "le progressisme bien compris" : à n’en point douter ! Concernant les institutions, c’est précisément ce que dit Michéa : donner des cadres institutionnels qui permettent d’exprimer les vertus des peuples plutôt que l’égoïsme, sans oublier de mettre des limites devant empêcher dans le futur l’exploitation de l’homme par l’homme. 


    Je préfère toujours m’attaquer au fond plutôt qu’à la forme, mais trop souvent l’un est intimement lié à l’autre, notamment chez Lordon. Ce "Impasse Michéa", "Misère de la common decency" me rappelle de trop la ridicule querelle entre Marx l’intellectuel et Proudhon l’homme du peuple. Pour rester aussi bas que Lordon, je dirai qu’on a le privilège de savoir à qui l’Histoire a donné raison. Concernant par ailleurs le sens de l’histoire, je trouve ma fois Lordon de mauvaise foi. Michéa jamais ne dit que le refus de l’idéologie du progrès signifie qu’il n’y a pas eu de progrès, mais que celui-ci ne peut donner un sens - précisément dans les deux sens du mot - à l’Histoire (terme par ailleurs que ni l’un ni l’autre ne définit). Pour Michéa, il y a bien une dynamique - plutôt qu’une direction - qui est celle de la dialéctique hégélienne (grosso modo : thèse - anti-thèse -> synthèse etc). Hegel semblera peut être ridicule pour un structuraliste comme Lordon, mais il n’empêche que c’est effectivement une marche théorique permettant le neuf (le conservatisme chez Michéa et à fortiori chez Orwell est une provocation à recontextualiser dans une certaine ambiance intellectuelle), c’est-à-dire en partie la destruction, tout en conservant. La tradition est la thèse, la nouveauté une anti-thèse, et de là on arrive à une synthèse, où l’on voit que la thèse est le point de départ.

    Finalement, et c’est une considération personnelle, il me semble que la stigmatisation (très infamante) d’un certain populisme (celui qui ne sert pas un marché électoral de droite ou de gauche suivant les périodes) est quelque chose d’assez anti-démocratique (ce qui ne signifie pas que celui qui émet la critique est un pur salaud). C’est par ailleurs une critique très fréquente dans l’élite de gauche et dans la bouche dudit Lordon, ce qui prête à confusion - sinon à une franche rigolade - lorsque l’on sait que ce sont les mêmes qui se font précisément passer pour progressiste, démocrate, gentil, ouvert et toutes les fleurs du monde. Or, un démocrate radical, voire même un anarchiste "vieille école", pour penser que le peuple puisse se diriger lui-même, et non pas qu’il se fasse diriger par une petite élite, qu’elle soit capitaliste, journalistique ou intellectuelle (scientifique), doit le porter très, très haut en estime, de lui prêter, en d’autres mots, des qualités multiples et diverses. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas au courant que "l’homme peut tout", comme dirait Lordon avec condescendance. Mais un minimum d’idéalisation me semble nécessaire, en ce sens où le "réalisme" n’existe qu’à postériori, personne ne pouvant savoir ce qu’est capable précisément une collectivité à un moment donné.

    Cela n’enlève rien bien entendu aux propos brillants de Lordon en matière d’économie, mais pour le côté politique - alors que c’est précisément ce qu’il reproche à Michéa - on peut repasser. Le politique ne peut se réaliser dans une tour universitaire, lorsqu’on est seul dans une pièce devant ses livres à longueur de journées, et qu’on a comme compagnon de discussion uniquement des collègues sociologiquement identiques, voire un ou deux journalistes mensuels. C’est un problème auquel je commence à devoir faire face et qui me dérange énormément (les journalistes en moins), peut-être s’habitue-t-on à un certain moment et on n’en perçoit plus les enjeux sociaux et politiques.

    Pour respecter les règles du jeu, on pourrait tout aussi appeler l’article : "Le complexe de Lordon"

    • O Scugnizzo O Scugnizzo 30 septembre 2013 00:23

      J’ai regardé superficiellement la critique de Boltanski et le vide profond m’a donné des vertiges si bien que j’ai presque été joué à GTA V pour me calmer de toute cette inculture faussement vernie d’intellectualité (et vice et versa, comme chantaient Les Inconnus). Ignorance totale des mouvements de contenu à l’intérieur des étiquettes gauche-droite à travers ces deux derniers siècles, accorder à Michéa le primat confondant de l’ "amalgame" entre processus de libéralisation et utilisation des "droits de l’hommes", alors que c’était une critique récurrente chez Babeuf et tous les participants de la Conjuration des Egaux (la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est considérée comme une déclaration bourgeoise et libérale, contrairement à celle de 1793, non-retenue par l’histoire, qui était bien plus égalitariste), auxquels tous ces petits intellectuels de gauche n’hésitent jamais à s’identifier. Bref, inintéressant au possible, voire qui fout carrément mal à l’aise. Le passage où il explique qu’on ne peut pas être de gauche - voire anarchiste - en étant conservateur, en oubliant donc les phrases de Marx sur le système capitaliste comme s’appuyant sur une destruction continuelle ou celles de Bakounine considérant que ce n’est pas la loi qui régit une société mais ses traditions, ses us et coutumes, ne mérite qu’un bon rot retentissant en retour.


      Même chose pour Halimi, qui feint par une rhétorique sociologique de ne pas comprendre que l’élite et le reste de la population nagent dans un cadre institutionnel (principalement normatif) très différent. 

      Le meilleur est peut-être Corcuff, publié non sans hasard chez Médiapart, où il appelle à une "principe de précaution intellectuelle", autrement dit appelant à ne pas trop raconter à haute voix ce qu’il se passe derrière les coulisses, au risque de remonter dans le temps, jusqu’aux heures les plus sombres de notre histoire ! 



    • Éric Guéguen Éric Guéguen 30 septembre 2013 09:33

      Bonjour à vous et merci pour cette belle critique.
       
      Je vais à mon tour émettre ce que j’ai tiré de la lecture, ce week-end, de tout le "dossier" Michéa, vous verrez que je ne suis qu’en partie d’accord avec vous, bien qu’étant partisan de Michéa.
      Je posterai ça ici même, dans la matinée.
      Merci encore pour le débat initié.


    • Éric Guéguen Éric Guéguen 30 septembre 2013 12:32

      Voici donc ce que j’ai tiré du conflit de chapelles estival, dont je n’ai pris connaissance que ces jours-ci pour ma part…
       
      Coup sur coup, Luc Boltanski, Serge Halimi, Philippe Corcuff et Frédéric Lordon s’en sont pris à Jean-Claude Michéa par médias interposés. Laissons de côté Boltanski (qui décidément ne sert à rien) et Halimi qui, lui, se contente de mettre en garde la gauche contre ses deux démons extrêmes : la tentation néolibérale incarnée par Geoffroy de Lagasnerie, lecteur de Foucault, et celle de la société clause que semble prôner Michéa, le nouveau Clouscard. Exit Halimi, merci d’être venu.
       
      Puis vient Corcuff et, contrairement à ce que vous avez pensé, Scugnizzo, et même contrairement au ressenti de Michéa lui-même, je pense que c’est ce texte qui est en soi le plus problématique. Michéa s’efforce de ne répondre qu’à lui car c’est un ami, mais je pense qu’il y a aussi le fait que Lordon fait mouche à certains moments, et qu’il est donc plus difficile à désarçonner. Je m’explique.
       
      En fait, le couple Corcuff-Lordon constitue en quelque sorte les deux bouts du cordon sanitaire autour de la pensée de Michéa. Je reviendrai ensuite sur Lordon, mais Corcuff le fait en mettant en garde Michéa contre le brouillage des frontières idéologiques. En gros : « Jean-Claude, prends garde, si l’on ne peut plus pointer du doigt les méchants, on n’a plus de raison d’être ! » Et qui serait ce « ON » ? Ce que Michéa appelle les « sociologues d’État », appointés par lui. Et il faut rappeler que ET Boltanski, ET Corcuff, ET Lordon sont des disciples (parfois critiques il est vrai) de Pierre Bourdieu, le pape de la sociologie qui pollue les médias et les pensées de son schéma binaire dominants/dominés. Alors les voir reprocher à Michéa son essentialisme et surtout son manichéisme, c’est assez risible.
       
      Lordon à présent : lui fonctionne, de mon point de vue, en binôme avec Corcuff, mais avec une critique beaucoup plus construite (c’est la raison pour laquelle je pense que Michéa aurait dû lui répondre). J’ai toujours cru que les deux seuls mecs intelligents à gauche étaient Michéa et Lordon ; je le maintiens. Lordon est très fort, ici il est « simplement » de mauvaise foi (comme vous le disiez). Il est fort à l’oral, et il est fort à l’écrit : il a un style, limite pédant, comme Bourdieu qui lui ne savait pas écrire et fustigeait, sans gêne, la « distinction » à l’œuvre dans la société. Je referme cette parenthèse sur la forme. Quant au fond, Lordon reproche essentiellement à Michéa d’hypostasier une moralité innée au sein de l’humble peuple. Je pense en effet que Michéa a le tort de faire de la psychologie sociale en considérant les hommes comme tous identiques, donc tous réceptifs de la même manière à la « common decency ». Mais ce que met au jour la critique de Lordon, c’est qu’il est lui-même esclave de cette tendance ; la seule différence est que Lordon a tendance, pour sa part, à considérer les hommes tous mus par l’appât du gain, convaincu qu’il est d’être un véritable homme de gauche, déniaisé quant aux faiblesses de l’âme humaine. M’est avis, pour ma part, que l’humanité est bien plus complexe que ce que l’un et l’autre prétendent, c’est un réductionnisme typiquement contemporain et Michéa est forcément en porte-à-faux pour détromper Lordon sur ce sujet.
       
      La véritable rupture entre les deux, selon moi, c’est la dénonciation de l’individualisme. Michéa le déplore et Lordon lui répond (Corcuff également) que la seule alternative à l’individualisme est le totalitarisme, et donc que la pensée de Michéa porte en germe la bête immonde, d’où l’intérêt que lui portent les réac ‘ en général, et ceux de la droite en particulier. Voilà en gros la tenaille dont je parlais : Corcuff dit à Michéa, au travers de la promotion d’une éthique de la responsabilité, que toutes les choses ne sont pas bonnes à dire, ce à quoi Lordon ajoute que toutes les oreilles ne sont pas aptes à entendre, autrement dit que le peuple que Michéa révère est tout à fait capable de porter des Hitler au pouvoir, ce en quoi il a raison. Face à cela, on peut en effet répondre à Lordon que Michéa n’est pas naïf à ce point, mais la meilleure parade consisterait à développer une alternative politique, ce qui est totalement absent de la pensée de Michéa. Je veux dire que mettre en évidence le besoin de valeurs, de vertu, d’éthique, c’est essentiel, et loué soit Michéa de le faire, contrairement à ce que dit Lordon qui feint de ne pas reconnaître qu’il est lui-même un « père-la-vertu » lorsqu’il réfère tant et tant de choses au risque de peste brune. Mais cela dit, vis-à-vis de l’avenir politique de ce pays, hors de l’anarchie responsabilisante, Michéa n’a, semble-t-il, rien à proposer au fil de ses livres. Ceci fait qu’il prête le flanc à la critique relativiste qui se défie des jugements de valeur et de la capacité de certains à réfréner sans contrainte les passions, la grande marotte de Lordon depuis qu’il a lu Spinoza.
       
      En définitive, Michéa a ma préférence et Lordon me déçoit (il met son intelligence au service du dogmatisme de gauche), mais étant donné qu’il se cantonne, comme Lordon, au décryptage de l’histoire moderne (XVII-XXe siècle, en gros), il est un peu à l’étroit dans sa pensée. Il aurait tout à gagner à remonter jusqu’aux grandes philosophies universelles de l’Antiquité, en particulier la capacité qu’elles avaient à penser l’articulation individu-communauté du point de vue politique, et non seulement éthique, sans s’en tenir aux travaux du MAUSS (très intéressants par ailleurs) sur le don-contre-don. Une seule chose me dérange chez Michéa : le fait qu’il tienne autant au « socialisme », ce catholicisme à la sauce moderne, éculé, sans avenir. Michéa oublie un peu vite que le socialisme est daté, et qu’il n’est que le petit frère scrupuleux du libéralisme.
       
      À bientôt,
      EG


    • Qaspard Delanuit Gaspard Delanuit 30 septembre 2013 13:42

      Pour sortir un peu du cadre étroit des sciences sociales (qui ne sont vraiment pas intéressantes quand elles ne conduisent pas à une autre dimension), je dirai que le plus important dans cette affaire est cette idée de moralité populaire. Et là on entre effectivement dans une quête du sens de l’humanité universelle, donc de l’essence de l’homme, dont la dimension métaphysique ne peut qu’agacer un sociologue (qui perçoit l’humanité comme une ensemble d’interactions mécaniques - complexes mais mécaniques quand même). 


      Il me semble que les bonnes questions à poser à Michéa sont :

      Comment pouvez-vous savoir que cette moralité populaire est effectivement un attribut de l’humanité - et comment pouvez-vous nous le faire savoir ?

      En supposant qu’il s’agisse d’une réalité, en quoi cette moralité populaire peut-elle être un facteur ou un vecteur de transformation sociale ? 

    • Caracole Caracole 30 septembre 2013 18:11

      @Eric Guéguen
      "La véritable rupture entre les deux, selon moi, c’est la dénonciation de l’individualisme."
      Lordon parle de transindividualisme dans cette video, ainsi que de nation, et même de sortie de l’euro et des traités européens en tant que condition nécessaire, bien qu’insuffisante. La souveraineté populaire doit pouvoir s’exercer, cela ne veut pas dire qu’elle s’exercera dans un sens souhaitable.
      .
      @O Scugnizzo
      "la stigmatisation (très infamante) d’un certain populisme (celui qui ne sert pas un marché électoral de droite ou de gauche suivant les périodes) est quelque chose d’assez anti-démocratique"
      Je ne pense pas qu’il "stigmatise" mais qu’il distingue l’idéal de souveraineté populaire de l’idéal populiste tel qu’instrumentalisé par les partis politiques. Il faut savoir faire la part des choses entre le populisme comme outil de manipulation des masses dans le système électoral, et la souveraineté populaire comme outil d’émancipation et d’"empowerment" des individus dans des processus politiques structurants.
      .
      En accord avec la langue et l’histoire française (cf souveraineté / populisme), il discerne donc le souverainisme populaire, et le populisme des souverains, ce qui me semble démocratiquement salutaire.
      .
      Le problème principal pointé par Lordon est le manque d’impact politique structurel des mouvements politiques alternatifs. Il ne suffit pas de consommer bio ou "made in france", il faut changer les structures pour qu’elles offrent les conditions nécessaires au peuple pour exercer sa souveraineté.
      .
      Plutôt que de "valeurs" déterminantes, le choix de Lordon d’évoquer les "passions" me parait très pertinent. Enfin c’est très ressourçant de voir un entretien de cette qualité intellectuelle ! Merci.


    • Serge ULESKI Serge ULESKI 30 septembre 2013 18:55

      Corcuff, on appelle ça la "real-sociologie" et c’est insupportapble de lâcheté ; lâcheté à la racine de laquelle on trouvera une seule préoccupation : "la carrière, encore et toujours la carrière !" sur le dos de ceci : qui fait quoi, à qui, où, comment, pour-quoi et pour le compte de qui".

      Fuck Corcuff !

      Pour prolonger, cliquez :

      http://sergeuleski.blogs.nouvelobs.com/archive/2013/08/06/philippe-corcuff-figure-de-proue-d-un-lumpenproletariat-inte.html


    • Éric Guéguen Éric Guéguen 30 septembre 2013 22:47

      J’ai lu, en effet, sous la plume de Lordon, son "transindividualisme". J’ai l’impression qu’en réponse à Michéa, Lordon prend en compte le problème politique par excellence : comment accorder enfin l’individu et à la communauté.
      À cela, deux réponses...
      1. Demander à l’individu de faire un humble pas vers la communauté, autrement dit faire primer le tout sur les parties : c’est plus ou moins le choix de Michéa ;
      2. Demander à la communauté de faire un humble pas vers l’individu, autrement dit continuer malgré tout de faire primer les parties sur le tout : c’est le choix assumé de Lordon.


    • Qaspard Delanuit Gaspard Delanuit 30 septembre 2013 23:05

      Les deux formules restant très abstraites tant qu’on n’explique pas comment produire ces effets souhaités. 


    • Éric Guéguen Éric Guéguen 30 septembre 2013 23:21

      Exact, Gaspard.
      Si l’un ni l’autre n’envisage réellement de changement politique.
      Et pourtant ils vendent leurs bouquins...


  • chenard chenard 30 septembre 2013 23:12

    Bonsoir,

    Merci de partager vos visions et analyses sur ces différents penseurs. Chacun d’eux est campé apparemment sur le principe des « modernes » qui propose d’arracher l’Homme à ses déterminismes. Pour les uns l’instinct territorial (propriété), les autres l’instinct social de coopération ou encore de hiérarchie…

    Les idéologies issues des « anciens » (royalistes et clérical) quand à elles pronent l’alignement sur les lois naturelles et de se conformer strictement à nos déterminismes en privant la société des potentiels d’action dont elle a besoin également.

    Michéa avance apparemment un déterminisme incontournable en effet, la coopération nécessaire et empathie que masque la profusion de richesse (trop de « liberté ») et à ce titre met un pavé dans la mare. Lordon quand à lui, réintroduit un autre déterminisme humain, les passions aussi bien au niveau individuel que social (psychologie des foules ou masses) également.

    Ces paradigmes « anciens » et « nouveaux » sont manichéens et ne recouvrent qu’une partie de la réalité. Les sciences sociales aujourd’hui, avançant dans leur connaissance de l’Homme, convergent toutes vers le nécessaire continuum entre déterminismes et liberté. Une société voulant arracher un déterminisme à l’humain est donc par nature totalitaire et non démocratique tout comme celle empêchant son potentiel d’action.

    Cela m’amène donc à penser que les principes de Montesquieu et notre Constitution française qui contrairement aux principes de la constitution américaine (et de l’UE), met la majorité (l’instinct populaire qui neutralise les marges) comme déterminant le destin de tous et sans suppression des pouvoirs se propose de les opposer pour qu’ils s’équilibrent, sont les mieux à même à respecter cette nécessaire continuité et dynamisme.

    C’est, autrement dit, ce que vous appelez Eric Guégen "primer le tout sur les parties" ou primer les parties sur le tout".

    La conférence sur ce lien expose différents travaux de sciences humaines dont ce que je connais mieux car c’est mon domaine, la psychologie sociale expérimentale mais aussi la psychiatrie/médecine ou la philosophie. Elle répond donc à la question que vous voulez poser, Gaspard delanuit, à Michea et par l’affirmative. « La morale est-elle naturelle ? » http://www.cite-sciences.fr/fr/conferences-du-college/mediaconf/c/1248129690837/-/p/1239022827697/seance/1248126421058

    La psychologie sociale consiste à essayer de comprendre et d’expliquer comment les pensées, sentiments et comportements des individus et des groupes sont influencés par la présence imaginaire, implicite ou réelle des autres. La psychologie du travail dans sa tradition française (opposée au courant anglo-saxon) quand à elle tend à créer la meilleure adéquation situation de travail/individu(s). Les ténors de ma discipline (psychologie sociale et du travail) ne touchent pas réellement le niveau macro-économique, malheureusement.

    Savez-vous si quelque penseur à écrit sur cet angle de la continuité entre déterminismes et liberté ?


    • Éric Guéguen Éric Guéguen 30 septembre 2013 23:27

      Bonsoir.
      Concernant votre dernière question, le premier qui me vient à l’esprit est le demi-dieu de Lordon, Baruch Spinoza.


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