mercredi 12 mars 2014 - par Oursquipense

Charité bien ordonnée

Au détour d'un tram bondé mes oreilles furent soudain assaillies par une mélopée dont les paroles m'abasourdirent quelque peu. Persuadé d'avoir été victime d'une hallucination auditive ou d'une mauvaise plaisanterie je fis quelques recherches pour me rendre compte que la réalité dépassait de loin l'affliction. J'avais bien écouté dans ce transport en commun la chanson des Enfoirés de cette année !

 

 

Une petite étude, instructive je l’espère, de cette oeuvre, si vous me le permettez.

 

«  Mes chaussures sont aussi pourries Que celles des gens qui passent ici »

 

On commence très fort avec une information dont on se demande d’où elle sort. Il semblerait donc que les bénévoles comme les bénéficiaires des Restos du Cœur ont des chaussures pourries en général. Serait-ce la vérité il est assez surprenant de commencer une chanson-hommage par ce type de précisions que pas mal de gens trouveraient aussi superfétatoires qu’insultantes. De plus l’adjectif « pourri » semble peu adapté, j’ai déjà entendu dire de chaussures qu’elles étaient râpées, usées, nases, ruinées etc…enfin un tas d’adjectifs mais « pourri » je crois que c’est la première fois.

 

« Mon manteau n’est pas beaucoup plus neuf Que celui du pauvre Rutebeuf » Soudainement une double référence culturelle qui fait très mal (enfin surtout aux références). Rutebeuf est un poète du Moyen Age. Léo Ferré, qui devrait faire la toupie dans sa tombe si jamais il apprend qu’il se voit cité quelque part en même temps que tous ces chanteurs charitables, a mis son poème le plus célèbre en musique.

 

« Moi, j’ai mal au dos comme tout l’monde Des coups de blues et mes zones d’ombre On n’a pas trop mais on a du bol Et nos vies chantent "on est bénévole" »

 

Bon, on se foule pas trop pour la rime, hein « monde » avec « ombre » mais bon, c’est pour des pauvres avec des chaussures pourries, une rime ultra-pauvre, c’est l’idéal. Et maintenant le refrain, là ils ont bossé les gars :

 

« La, la, la, la, la, la La, la, la, la, la, la La, la, la, la, la, la Bienvenue dans ma vie »

 

Non, criez-pas ! « La la la » ce n’est pas si mal comme paroles. Surtout pour une chanson sur laquelle on ne percevra pas de droits. Bel effort, franchement.

 

« Dans ma maison y’a ni plus ni moins Ni plus ni moins que chez le voisin Un peu plus d’amour à partager Et moins de temps devant la télé »

 

Continuation de rimes approximatives ou d’une facilité déconcertante. Le texte suit tout de même un fil rouge : aux Restos du Cœur ce sont des pauvres qui aident les pauvres, une notion de caste assez étrange, comme si des représentants de catégories sociales un peu plus chanceuses n’étaient pas capables d’empathie ni de gestes solidaires. Donc, on vous l’affirme ici, un bénévole en fait c’est un pauvre aux pieds qui puent qui regarde moins la télé que les autres pauvres.

 

« Je ne dis pas trop ce que je fais L’humanité par ici c’est suspect Pas de médaille ni d’auréole On n’est pas des saints, juste des bénévoles »

 

Couplet qui suggère qu’en général les gens ne sont pas solidaires et qu’un bénévole est plutôt rare. Salauds de pauvres !

 

Refrain

 

« Et quand on me demande pourquoi Et qu’est-ce que j’y gagne ? Pour des gens qu’on ne connaît même pas Tous un peu louches et coupables » Parfois sans même un merci C’est pas toujours facile Mais qui changera tout ça sinon toi et moi ? »

 

Alors là !? Si quelqu’un arrive à me trouver une rime dans ce couplet, je suis preneur ! Quant à l’éventuelle logique des paroles, là, je jette l’éponge. Parce qu’il me semble qu’une question est posée au début du couplet et qu’il n’y est en fait pas répondu.

 

Refrain

 

« Nos chaussures sont aussi pourries Que celles des gens qui passent ici Nos manteaux sont pas beaucoup plus neufs Que celui du pauvre Rutebeuf Oui mais j’ai des amis Pas beaucoup mais des vrais Et tant de sourires que d’autres n’auront jamais »

 

Bon, on passe du « nous » au « je », ce n’est pas grave, une incohérence de plus ou de moins, quelle importance ? Les Enfoirés nous apprennent qu’un bénévole ça n’a pas beaucoup d’amis mais des vrais. Encore une info que nous n’avions pas et qui fait bien plaisir.

 

Pour résumer ce que nous apprend cette oeuvre un bénévole est donc un pauvre aux chaussures pourries qui regardent moins la télé que les autres pauvres (qui ont néanmoins aussi des chaussures pourries), qui a peu d’amis mais des vrais et qui chante « la la la » ad lib. C’est beau un bénévole !

 

Heureusement que les bénévoles sont décrits dans la chanson car ces pauvres généreux aux pieds qui puent ont droit à 30 secondes d’images arrêtées en tout et pour tout sur les 2 minutes 50 secondes de la chanson qui leur est dédié. Le reste du clip vous vous en doutez à qui il peut être consacré. Vers la fin des années 80 des anciens d’Hara Kiri avait tenté de lancer un mensuel qui s’appelait « Zéro ». Une de leur première couverture titrait je crois « les Enfoirés : un jour pour les autres, 364 pour leur gueule ». CQFD. Il est facile de faire parler les morts mais nul doute que Coluche n’aurait pas supporté que son initiative puisse durer si longtemps. Les Enfoirés ce sont des médecins qui soignent les symptômes sans rechercher la maladie. Pourquoi y-a-t’il des pauvres ? Ils le font exprès, ils le méritent, ça ne peut pas être autrement ? La charité ça veut malheureusement parfois dire pour certains que le statu quo doit être préservé et qu’il est inutile de réfléchir aux racines des problèmes.

 

Pour terminer une citation de Robespierre en 1788 : «  La plus grande partie de nos concitoyens est réduite par l’indigence à ce suprême degré d’abaissement où l’homme, uniquement occupé de survivre, est incapable de réfléchir aux causes de sa misère et aux droits que la nature lui a donnés. ».



5 réactions


  • howahkan hotah Buddha hotah 12 mars 2014 16:49

    les enfoirés !!!!!!!!!!!!!!! smiley....

    qui domine la production de la chanson française déjà ?

    ah OK, je comprend tout !!


  • Oursquipense Oursquipense 12 mars 2014 20:01

    Merci au modo pour la mise en page des vidéos annexes.


  • Norman Bates Norman Bates 13 mars 2014 00:01

    Cette oeuvre de charité devrait être rebaptisée "secours cathodique" pour artistes (?) au creux de la vague...

    Comme Michaël Youn, par exemple, que le Grand Gourou Goldman a accepté de coopter, sans doute avec l’assentiment de ses disciples Bruel et Boon...
    Par son insondable niaiserie ces "spectacles" portent atteinte à la dignité humaine et devraient être illico interdits...
    Mais que fait le Conseil d’Etat.. ?

  • Oursquipense Oursquipense 13 mars 2014 11:58

    Bon, visiblement mon article doit être aussi pourri que les chaussures d’un bénévole !! smiley Ou il y a un effet repoussoir que je comprends mal. Tant pis. A un de ces jours peut-être. 


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