Joe Chip Joe Chip 25 mai 2020 03:37

(désolé pour la longueur)

C’est à partir de là que Soral est entré dans une sorte de fuite en avant, où il devait commettre de plus en plus de provocations pour rallier à lui un public d’inconditionnels qui lui permettraient de vivre en marge du système politico-médiatique (je n’invente rien, il l’a lui même théorisé). Pour cela il fallait que ce public soit captif et intègre l’idée d’une rupture totale avec le courant "mainstream" (c’est à ce moment-là que le mot est apparu dans le vocabulaire dissident) et c’est là que Soral s’est montré très habile dans un rôle à mi-chemin du gourou et du communicant, ciblant de manière très efficaces les éléments les plus radicaux de segments d’opinion souvent opposés auxquels il a proposé une séduisante alliance des contraires contre un ennemi désigné.

C’est là que j’ai commencé à nourrir de plus en plus de doutes sur le personnage, sur la sincérité de sa démarche et de ses idées. Même les scandales antisémites accumulés au fil des années m’ont laissé perplexe, on a parfois l’impression que tout cela était joué et surjoué, des deux côtés d’ailleurs. 

Son "Chute", roman rempli d’aigreurs et écrit avec les pieds, m’avait déjà brouillé avec le personnage. "Comprendre l’Empire" m’est tombé des mains dès la première lecture. Cet "essai" est non seulement illisible (bourré de fautes de syntaxe) mais surtout Soral y troque la dialectique marxiste contre ce qu’il faut bien qualifier de mode de pensée complotiste (même si le mot n’était pas encore couramment utilisé).
Ensuite il y a eu la brouille avec les frontistes. Soral avait claqué la porte du FN 
et était venu ensuite expliquer chez Taddéi que son ralliement au FN avait été une sorte de performance artistique et d’acte provocateur libertaire, ce qui me ramène aux observations de départ sur cette génération de velléitaires qui n’avaient en réalité aucune envie d’en découdre en politique.

Puis il y a eu le fameux épisode de la "liste antisioniste" avec ses candidats folkloriques et ses altercations dans la rue avec les "nervis" sionistes. Avec Soral, blanc comme un linge au milieu de ses troupes, pour une fois obligé de descendre dans l’arène et de jouer au militant (avant de théoriser ensuite l’inutilité de tout militantisme politique et prôner une approche "métapolitique" beaucoup plus sécurisante). 
N’oublions pas que Soral était aux abonnés absents quand les spectacles de Dieudonné ont été interdits, ce qui était un scandale, et je dis ça sans éprouver de sympathie excessive pour Dieudonné ou ce qu’il est devenu. Alors que Vals avait clairement outrepassé ses fonctions pour inciter le conseil d’Etat à empêcher la tenue de ce spectacle, Soral n’a pas dit le moindre mot alors que c’était précisément le meilleur moment pour montrer que tout ce qu’il décrivait depuis des années n’était pas complètement hallucinatoire, que certaines choses dysfonctionnaient réellement en France sur le plan de la liberté d’expression. Encore une dérobade. Il est réapparu un mois plus tard en expliquant qu’il était en vacances et en incitant les militants d’ER à ne pas prendre part aux polémiques ("pièges tendus par l’éxécutif") pour se concentrer sur la "métapolitique" et la formation, c’est à dire les conférences ER et les produits ER...

A ce stade, j’avais acquis la conviction que Soral ne représentait plus que lui-même et sa boutique. Mon intuition me pousse à penser sans pouvoir le prouver que ça allait même un peu plus loin que ça et que ses diverses empoignades avec la justice française étaient une sorte de vals(e) à deux avec le pouvoir. D’ailleurs, de qui parle Vals dans son interview récente donnée à la Règle du jeu, le site de BHL ? De Soral et Dieudonné, alors qu’il est clair que ni l’un ni l’autre n’ont aujourd’hui l’influence qu’ils pouvaient avoir par le passé sur une partie de la jeunesse.

https://laregledujeu.org/2020/05/23/36203/manuel-valls-face-a-dieudonne-et-soral-ne-rien-laisser-passer/

A partir de là le cirque dissident s’est mis en place sur le net, tous les sites vaguement "antisystèmes" ont été progressivement absorbés par la "galaxie" soralienne. Tout cela prêterait à sourire si des gens n’avaient pas été instrumentalisés (Chouard) ou broyés entre temps par Soral, avant qu’il ne finisse lui-même par devenir la victime du cirque qu’il avait mis en place avec "l’affaire Binti". Il me semble que Mukuna avait tout dit sur Soral en révélant une anecdote qui avait d’ailleurs bien embarrassé ce dernier puisqu’elle semblait parfaitement crédible et n’avait pas été vraiment démentie.

La technique était toujours la même et se déroulait en trois temps :
— approcher une personnalité populaire sur le net alternatif (ex : Chouard à l’époque de ses ateliers constituants) pour toucher un segment d’opinion, en prétextant une proximité 
— une fois "ferrée", discréditer la personnalité en le présentant comme naïve, irréaliste ou timorée sur la question sioniste 
— laisser le personnage se débattre dans ses contradictions face aux médias

La liste de personnalités qui ont fricoté de près ou de loin avec Soral est impressionnante ; certains, pour des raisons mystérieuses, n’ont jamais été inquiétées de cette proximité (comme Tarek Oubrou qui a donné des conférences dans le cadre d’ER). D’autres se sont retrouvées au contraire clouées au pilori pour s’être trouvé une fois dans la même enceinte que Soral. Boniface (que je n’aime pas particulièrement) a vu sa réputation entachée et a été emmerdé pendant des années par des lobbies juifs pour avoir un jour partagé une scène avec Soral et d’autres personnes.

Et n’oublions pas, et là c’est presque grave, la petite cohorte des "musulmans patriotes" qui ont été manipulés ou plutôt instrumentalisés par Soral qui
a complètement pourri ce qui aurait pu représenter à un moment donné une certaine ouverture, un possible trait d’union entre des mondes qui ne se reconnaissaient pas (la banlieue et les campagnes pour faire vite). 
Le concept même de "réconciliation" n’était pas mauvais au tout début. Ce qui explique pourquoi beaucoup de personnalités ont convergé initialement vers Soral. Alors qu’il aurait pu faire quelque chose de positif, même limité en termes d’échelle, Soral a décidé d’en faire un simple gimmick politicien avec l’"antisionisme" comme seule finalité. 
Sur ses relations avec Dieudonné, il est clair que les deux hommes se vouent une détestation réciproque depuis des années mais semblent s’être tenus à un pacte de non agression implicite pour ne pas aggraver leurs emmerdes et se priver d’une partie de leur public (une partie des soraliens suivant Dieudonné et inversement).


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