Tchakpoum 3 mars 2020 09:03

@maQiavel
.

Oui, je n’arrivais pas à me caler avec les explications de homo fabulus qu’il appuie sur une présentation réifiée de la morale (un algorithme dans le cerveau et son schéma).

C’est la confusion entre le modèle et la réalité, comme vous le dites, sur le fonctionnement de la morale, c’est aussi la posture difficile de faire de l’objet de son étude, son préalable.

 .

Pour l’état de nature, là aussi les philosophes des Lumières devaient trouver moyen de sortir du cadre, qui était la raison et le fonctionnement de la société et pour ce faire, le point d’observation était de partir de l’homme hors de la société. L’exercice était d’autant plus difficile qu’il fallait aussi le sortir de sa condition de créature divine, heureusement qu’ils avaient en réserve les penseurs grecs.

Mais on tombe facilement alors dans la construction binaire de l’envers et de le polariser : l’analyse critique devenant une analyse de rejet, alors que l’appui est artificiel au point de transformer l’état naturel descriptif en normatif, un investissement par compensation sur un possible et un ailleurs.

 .

Il y a un autre niveau : Rousseau a pris connaissance des pensées de Hobbes (il en parle dans son Discours). Et l’état naturel de l’homme, selon Hobbes, est la "sauvagerie", l’expression mécanique de ses passions, l’agressivité permanente et la destruction des autres pour se préserver et capter les biens nécessaires à l’existence. On sait que son obsession était, à juste raison, les guerres de religions. Or la guerre de tous contre tous ne s’exprime pas parce qu’on devient sauvage, qu’on tombe dans un autre état d’existence, mais parce que l’état de confiance entre les individus est détériorée au point qu’un nouvelle nécessité s’impose et se répande : il vaut mieux tuer son voisin avant que celui-ci nous tue. Cela va au-delà d’une affaire d’hostilité ou de ressentiment. C’est la loi des guerres civiles.

Rousseau présente un état de nature opposé : un homme placide, à l’agressivité limitée aux situations de défense de son intégrité et de ses proches, aux moments sexuels.

On a donc deux images de l’état de nature, parce-que deux rapports à la société : celle est Hobbes est une nécessité, une solution pour l’homme, pourvu que la contractualisation civile soit bien organisée, celle de Rousseau est au minimum un problème (il pose dans son Discours que « la manière de vivre simple, uniforme, et solitaire qui nous était prescrite par la nature » épargne l’homme les mollesses physiques et les mauvaises passions inhérentes à la vie en société).

 .

Lucien Malson, qui a justement repris le journal du docteur Itard dont le je parlais plus haut, a montré qu’il n’y a pas de définition naturelle de l’homme. A l’état sauvage, il n’est rien d’autre qu’un animal comme les autres, éventuellement modifié par son éthologie s’il vit avec des loups ou des singes. L’humanité n’a rien non plus de naturelle : elle n’est que construction culturelle.

Il y a donc bien des lois naturelles, qui sont celle du vivant et des écosystèmes. Il n’y a guère d’état naturel de l’homme, hormis son éthologie (les dispositions physiques, les instincts, l’environnement de son espèce, des autres espèces, de la nature). Il n’y a pas de droits naturels : ils ne sont que culturels. Même si on est bien d’accord que la frontière est poreuse entre l’état animal et la construction sociétale, il n’en reste pas moins qu’il y a déplacement entre adaptation à l’environnement naturel, et adaptation à une organisation co-créée.

.

Une autre différence, sans doute, et un vecteur éminemment culturel, (plus que le cerveau ?) est la main (devenue libre depuis qu’elle ne s’accroche plus aux branches) qui permet à l’homme de stocker, fabriquer, échanger, gérer. En ce sens, il est le seul animalus oeconomicus.


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe