maQiavel maQiavel 1er mars 2020 15:47

@Tchakpoum

Il y’a effectivement eu entre le XIVème et le XVIIIème siècle des récits d’explorateurs qui ont suscité des fantasmes chez de nombreux lettrés. Il est aussi vrai que Rousseau s’inscrit dans le courant contractualiste qui présuppose chez l’humain un état de nature préexistant à toute société organisée et avec lequel il rompt pour entrer dans l’état civil. Cependant, Rousseau n’a jamais parlé de bon sauvage ou écrit quelque chose qui pourrait y ressembler. Ce sont des mauvaises interprétations de ses écrits ( Rousseau, Nietzche, Marx et Machiavel sont les philosophes qui sont le plus mal interprété).

Quand on lit ses discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, voici ce qu’on trouve : « Il ( l’homme sauvage) avait dans le seul instinct tout ce qu’il fallait pour vivre dans l’état de nature, il n’a dans une raison cultivée que ce qu’il lui faut pour vivre en société. Il paraît d’abord que les hommes dans cet état n’ayant entre eux aucune sorte de relation morale, ni de devoirs connus, ne pouvaient être ni bons ni méchants, et n’avaient ni vices ni vertus  ». Lire à 255 pour lire ce passage dans son contexte.

C’est-à-dire que pour Rousseau, l’homme à l’état de nature est axiologiquement neutre sur le plan moral, il est livré par la nature au seul instinct. Il n’est ni bon, ni méchant, il ne sait simplement pas ce que cela signifie, ses actions sont guidées par des stimulus primaires tels que voir, sentir, vouloir et ne pas vouloir, désirer et craindre etc. Au passage à l’état civil, tout cela change, dans le contrat social, il écrit « Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant » ( lire ici pour replacer cette phrase dans son contexte).

La première fois que j’ai lu Rousseau j’ai été étonné de constater qu’il n’a jamais parlé d’homme qui serait bon à l’état de nature. En réalité, cette idée du « bon sauvage de Rousseau » est née chez Voltaire dans une lettre débordant de mauvaise foi qu’il a envoyé à Rousseau en guise de réponse à la lecture de ses discours sur l’inégalité dans laquelle il le fait passer pour un penseur s’extasiant sur le « bon sauvage ». C’est alors que d’autres vont s’emparer de cette notion et vont tenter de faire chuter ce mythe du bon sauvage, notamment au XIXème siècle avec John Crawfurd. Ces gens ont joué un mauvais tour à Rousseau, on a affaire à quelque chose qui ressemble fort à la ruse de l’extension décrite plus tard par Schopenhauer qui consiste à étendre l’affirmation d’une personne en lui faisant dire des choses qu’elle ne dit pas pour ensuite la contredire sur cette base. 

Le mythe du bon sauvage de Rousseau n’existe pas, il y’a plutôt un mythe du mythe du bon sauvage de Rousseau.


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