Joe Chip Joe Chip 1er août 2017 13:01
Réduction dialectique grossière habituelle : nous/la France/l’Occident sommes corrompus, méchants, matérialistes DONC la Corée du Nord est un pays sympa dirigé par un brave dictateur incompris.

En fin de compte Soral reprend les poncifs des vieux cocos staliniens et des "intellectuels" de gauche des années 60-70 qui s’extasiaient déjà à l’époque devant le régime soviétique et les pays du pacte de Varsovie tout en profitant cyniquement de tout le confort procuré par la société capitaliste d’après-guerre. Les modalités touristiques décrites par Qirorreur correspondent exactement à ce que l’on pouvait lire au sujet de l’URSS de la part des "intellectuels" communistes et gauchistes : le pays est très bien géré en dépit de tout ce que l’on peut lire dans la presse capitaliste, la population vit modestement mais est heureuse, il y a évidemment quelques problèmes mais les autorités en ont conscience et s’efforcent de trouver des solutions... 

Hergé fustigeait déjà ce "mirage totalitaire" dans son premier album injustement décrié alors qu’il avait le mérite de montrer les Bolchéviques pour ce qu’ils étaient, dès les années 1920. Ces sociétés totalitaires ont toujours une qualité de pure surface, une impénétrabilité qui a pour fonction de refléter le regard extérieur et le renvoyer vers lui-même. Beaucoup de gens qui se rendent en Corée du Nord reviennent ainsi en doutant d’eux-mêmes au lieu de douter de ce dont ils ont vu.

A la décharge de Soral, je conçois très bien que la surface "calme et propre" de certains pays totalitaires (qu’il rapproche de la Suisse, non sans raison, même s’il s’agit en Suisse d’un héritage lié à la rigueur calviniste) puisse opérer une séduction, une attraction immédiate sur des esprits occidentaux fatigués qui subissent tous les aléas et les inconvénients de la démocratie libérale (sans en discerner les avantages). Mais son rôle d’intellectuel est justement de parvenir à se détacher de ses impressions superficielles et d’examiner ce qui en constitue le déterminant ou le corollaire. 
Et ce qui est relativement inquiétant, c’est qu’il n’y a qu’en France que l’on trouve à chaque fois des "intellectuels" pour se fourvoyer à ce point-là, par goût immodéré du paradoxe et de la dialectique au sens marxiste du terme, et aussi par futilité. Il faut donc se demander "pourquoi ?"

Le petit bourgeois français (et Soral a assez rappelé qu’il était un bourgeois déclassé) a mauvaise conscience, et il tient à le faire savoir au monde entier : moi, petit français, je souffre d’être français. Cela devient amusant quand cette haine pathologique de soi et ce masochisme relativiste ont besoin de passer par la figure honnie du juif (aujourd’hui sioniste) pour s’assumer comme tels. C’est trop dur de s’avouer qu’on se déteste, alors il faut trouver des supports extérieurs à sa haine.
Bien entendu, le petit intello bourgeois français ne poussera jamais le vice jusqu’à aller vivre dans un de ces paradis totalitaire vierge de toute influence judéo-maçonnique qu’il prétend affectionner : non, car en fin de compte, ces pauvres Coréens n’existent pas dans l’esprit de Soral, pas plus que la Corée du Nord qui n’est plus qu’une projection conceptuelle à partir de laquelle il peut exercer sa propre subjectivité. Ainsi l’étrange irréalité de la capitale nord-coréenne fait écho dans la mémoire à la perfection des souvenirs d’enfance et à cet âge d’or où l’individu n’a ni liberté ni responsabilité à assumer : simplement à se laisser vivre et à vouer une confiance aveugle en l’autorité parentale. Il n’est donc pas étonnant que Soral projette les paysages de la Corée du Nord sur son enfance (et inversement). C’est l’image parfaite du paradis totalitaire, qui a effacé toutes les aspérités déplaisantes et les défauts par trop visibles des sociétés occidentales où tout est exposé et livré aux regards. C’est le lieu de la nostalgie, habite par des citoyens passifs éternellement réduits au statut d’enfant. La Corée du Nord est un petit pays de Cocagne pour Soral, c’est l’équivalent du pays imaginaire de Peter Pan. 

Peu importe que tous les gens qui s’échappent de Corée du Nord décrivent une société concentrationnaire, liberticide et régulièrement soumise à la famine ;
peu importe qu’ils décrivent comment le régime met en scène une fausse prospérité réservée à une minorité de la population, peu importe tant que je peux continuer à me vautrer dans la mauvaise conscience tout en jouissant cyniquement des richesses, de l’abondance et des facilités que les habitants de Corée du Nord n’ont même pas le droit d’imaginer.


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe