Joe Chip Joe Chip 14 février 2016 13:04

Je veux revenir sur cette histoire de "moines" que je ne considère absolument pas comme une solution, si c’est toutefois l’avenir de la "France" qui est en jeu, c’est à dire celui des Français dans la durée.

Sans vouloir faire le nietzschéen de service, on pourrait aussi vous objecter que ces "moines" sont tout simplement des individus passifs ou fatigués, voire des lâches se défaussant de la difficulté d’être en vie à une époque de crise et refusant, par paresse ou par orgueil, d’avoir à trouver leur place dans le monde et y prendre une part active. 

D’ailleurs, les vrais moines (religieux) mènent souvent une vie austère et industrieuse, réglée par le labeur manuel, quotidien immuable, afin d’empêcher que ces derniers ne tombent dans l’indolence et la mélancolie que l’on avait souvent observés chez les ermites ou les anachorètes solitaires. Les moines étaient souvent en proie à une forme de tristesse ou d’agitation identifiée à l’époque au "démon de midi" correspondant à l’ancien péché de l’acédie :

http://www.scienceshumaines.com/l-acedie-ancetre-de-la-paresse_fr_22455.html

Aux IIIe et IVe siècles, des religieux en Égypte et en Palestine décident de vivre leur foi dans le désert et de se retirer radicalement du monde. Mais certains sont confrontés à un mal étrange ? : ils deviennent apathiques, se laissent aller, accablés par une angoisse oppressante. Inquiétude, oisiveté, instabilité, somnolence, dégoût, ennui les conduisent à négliger leurs devoirs envers eux-mêmes et envers Dieu.

Ce problème de "l’acédie monastique" (c’est à dire de la dépression mélancolique) était pris très au sérieux par les autorités ecclésiastiques qui rendirent obligatoire le travail manuel au sein des monastères (au détriment de l’étude et de la contemplation) tout en encadrant tous les aspects de la vie du moine, qui était quasiment minutée comme celle d’un ouvrier à la chaîne.

Se lever très tôt à heure fixe, manger en silence et sobrement, prier, travailler, prier, étudier, manger, se coucher... je ne sais pas si cela correspond à l’idée fausse que se font beaucoup de gens de la vie cloîtrée et contemplative. Et je ne sais pas ce que Qaspard entend précisément par la "sobriété" et la "vie simple". Je veux dire qu’à la rigueur un rentier prévoyant peut se ménager une retraite tranquille, à la romaine, et s’installer dans une belle propriété avec un petit pécule pour vivre "sobrement" "au contact de la nature", ce n’est pas pour autant une vie morale ou exemplaire.

Je dis ça car on voit un tas de gens s’enorgueillir de "ne pas avoir de télévision" (mais avoir un ordinateur, un téléphone portable et internet), de "ne pas regarder TF1" (mais adhérer à 100% à leurs média alternatifs) ou de snober le supermarché (c’est pour les "moutons" de la "société de consommation"), comme s’il fallait faire preuve de la moindre intelligence ou capacité pour arriver à ces prodigieux "résultats". Qui est complaisant ? Celui qui accepte la règle du jeu, se casse le cul au quotidien pour progresser dans sa vie professionnelle, remplir le frigo, et se détresse devant un film le soir, ou celui qui se dit qu’après tout la société de consommation permet aussi de vivoter tranquillement en limitant les dépenses ? La consommation ne concerne pas uniquement la consommation matérielle et objective.

Attention, je n’accable personne (et je m’inclue à vrai dire dans la critique), mais la morale n’est pas forcément du côté de la dissidence oisive. S’il suffisait de se déconnecter du monde pour le transformer en attendant que ça se passe, cela se saurait. Je ne crois pas du tout au scénario millénariste de Qaspard où le "monde en proie au chaos" se tournerait en désespoir de causes vers ces "moines non religieux" retirés de la vie mondaine et sociale. 

De mon point de vue une sobriété qui est bien vécue n’est pas, par définition, de la sobriété, c’est juste le degré de confort optimal. Il faut toujours un élément de contrainte, sinon c’est plutôt du loisir philosophique ou de l’oisiveté telle que la concevait les élites gréco-romaines, qui avaient une aversion pour le travail considéré comme l’activité des esclaves :

"Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour lui-même est un esclave, qu’il soit d’ailleurs ce qu’il veut : politique, marchand, fonctionnaire, érudit." (Nietzsche)

Mais là on est ouvertement dans une approche hédoniste qui vise surtout à jouir de sa liberté en éliminant toutes les activités serviles liées à la production concrète des moyens de survie. Par ailleurs les Romains assumaient l’institution sociale de l’esclavage sur lequel reposait intégralement ce mode de vie où une majorité soumise devait produire les biens matériels et les services permettant à une minorité de se consacrer presque exclusivement au loisir et aux activités "nobles" (politique, sciences, arts). Dans notre système bourgeois et démocratique, le producteur - parfois un gosse d’un pays pauvre - est souvent escamoté et dissimulé, ce qui n’est pas moins immoral et sans aucun doute plus hypocrite.

Pour certains, le confort consiste à avoir une dizaine de voitures de luxe et des maisons dans le monde entier. Pour d’autres, d’être libre de toute préoccupation de type sociale ou matérielle.

C’est pourquoi l’Eglise a rapidement favorisé le cénobitisme (vie monastique communautaire) par rapport à l’ascèse individuelle. La vie monastique a par la suite été violemment critiquée par Luther et par Nietszche (deux allemands, pas un hasard sans doute) mais pour des raisons différentes.


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