
Jacqueline Chabbi : Questions / Réponses.
Extraits :
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Q _ Aujourd’hui, les jihadistes revendiquent un islam pur qui serait celui des origines. Quels sont les points communs entre les combattants de Daech et ces premiers « musulmans » ?
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R. J.C _ Aucun. Les jihadistes ont une représentation sacralisée du passé. La communauté musulmane idéale qu’ils imaginent, formée de pieux compagnons, n’a jamais existé. Le plus grave, c’est que des jihadistes, mais aussi des musulmans, et même des non-musulmans ont en tête cette représentation faussée.
Malheureusement, on ne peut pas accéder à une factualité concernant cette période, il s’agit donc de séparer le mythique de l’historique. Je travaille sur les imaginaires et les représentations, mais à partir d’indications concrètes dans les textes qui renvoient à la vie matérielle. Nous sommes face à une histoire sacrée qui non seulement est écrite deux ou trois siècles après, mais surtout dans une société qui n’a plus rien à voir avec celle du VIIe siècle.
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Q _
C’est ce que vous appelez le « hiatus chronologique » sur lequel repose le récit coranique…
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R. J.C _ La difficulté face à cette réécriture du passé est de décrypter les intentions des auteurs des textes pour tenter de retrouver une vraisemblance historique. Le Coran reflète une société traditionnelle tribale qui était extrêmement pragmatique. Mais quand l’islam intègre au IXe siècle des populations extérieures, il entre dans un tout autre modèle social. On se fabrique alors le fantasme d’un passé idéal. Le corpus désigné comme « paroles prophétiques » s’invente dans ce nouveau contexte.
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Q _
Certains analystes font de la violence une caractéristique intrinsèque à l’islam…
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R. J.C _
On peut faire dire ce que l’on veut à un texte sacré. On pourrait tout aussi bien appliquer cette idée au judaïsme, l’Ancien Testament contient beaucoup de violence. Cette violence reflète en effet les conflits terribles entre Babyloniens, Assyriens, Achéménides, pharaons… Mais les écrits anciens donnent aussi à lire un discours violent qui ne correspond pas à l’action réelle. Cette représentation de la violence est souvent dans la surenchère afin de compenser une action impuissante. On ne fait pas ce que l’on dit. Quand les tribus sortent d’Arabie, elles ne massacrent pas, non pas pour des raisons morales, mais parce que leur culture, leur mentalité, est de laisser en vie pour que cela rapporte. Et aussi parce que les hommes d’Arabie étaient soumis à la loi du talion. Donc on ne tue pas, sinon on risque un autre crime en retour. Les premiers « musulmans » voulaient juste que les populations se tiennent tranquilles et leur payent un tribut. Ce qu’elles pensaient ou ce à quoi elles croyaient ne faisait pas partie de leurs préoccupations. Pendant un siècle et demi, les conquis ne pouvaient même pas se convertir. Pour devenir musulman, il fallait être accepté comme membre rattaché dans une tribu issue de la péninsule Arabique ; devenir musulman, c’était entrer dans une alliance d’abord sociale, ce qui n’était évidemment pas donné à tout le monde.
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