
Cher Ahmed Amine,
Merci à tout le moins de considérer comme plausible la thèse de Gallez. C’est déjà une base de discussion. Reste maintenant à ne pas la déformer comme vous le faites parfois dans nos échanges :
- Non, cette thèse ne repose sur "la critique radicale". Elle repose sur des faits historiques et des raisonnements qui conduisent à la critique radicale (la critique des racines, la critique des origines), et non l’inverse. Je reviendrai sur certains de ces faits.
- Non, cette thèse n’est pas une énième "théorie du complot", comme je le lis chez beaucoup de détracteurs, et également à la fin de votre dernière réponse. Elle replace au contraire le phénomène de l’apparition et de la structuration de l’islam dans toute sa complexité historique, au fil d’un processus de plusieurs siècles (du 1er au 11e siècle). L’histoire est suffisamment compliquée dans sa réalité pour avoir besoin d’invoquer le projet fou de "masterminds" ou autres califes démoniaques qui auraient voulu créer une religion nouvelle. Les choses se sont faites progressivement, par petites touches, par étapes, avec parfois des effets de cliquet déterminants (comme le califat d’Abd al Malik).
Pour comprendre ensuite pourquoi la thèse de Gallez est si mal reçue dans le milieu de la recherche (du moins par les universitaires les plus en vue), il faut comprendre qu’elle vient pointer les déficiences mêmes de ce milieu :
- Le conformisme vis à vis de l’islamiquement correct - qui peut s’expliquer par des pressions diverses, par le financement des chercheurs eux-mêmes, par le politiquement correct, par le clientélisme, par la peur de la réaction de certains musulmans ... Le cas de Juppé est ici emblématique : il a fait pression sur le recteur de l’université de Bordeaux pour en virer Jean-Jacques Walter, qui n’a eu d’autre choix que de travailler sa thèse chez MT Urvoy. Pourquoi ces pressions de Juppé ? Chacun pourra s’en faire son idée.
- L’hyperspécialisation de la plupart des chercheurs, qui les empêche de développer une vision d’ensemble de l’histoire et de ses processus longs. Tout le contraire de Gallez, dont le génie aura été de faire le lien entre des disciplines, des découvertes, et des chercheurs qui n’auraient jamais du se rencontrer. Le point de départ de sa thèse repose sur la réunion des études des textes de la Mer Morte et par là des courants juifs messianistes du premier siècle avec les études de l’islamologie classique. Quel islamologue aujourd’hui peut se targuer, comme lui, d’être aussi un spécialiste des textes de Qumran ? Difficile donc de l’affronter, et de fait, on préfère étouffer ses découvertes dans la feutrine d’un silence gêné car elles dérangent. Trop novatrices, trop étayées, trop différentes de ce à quoi nos universitaires sont habitués.
- Le militantisme athée de nombreux chercheurs - beaucoup, contrairement à Gallez, ne prennent pas le phénomène religieux au sérieux, ne considèrent les idées qui le sous-tendent et leurs répercussions dans la psyché humaine que comme des miasmes "obscurantistes", par nature sans fondement. Ils se reposent dans la posture confortable de l’observateurs "des religions", en se plaçant au dessus de ces "superstitions". Le travail de Gallez leur est alors profondément dérangeant. Déjà le fait qu’il soit prêtre, qui pour certains invalide toute prétention à la rationalité (bel esprit scientifique que voilà !), et ce bien que Gallez ait travaillé et soutenu sa thèse à l’université publique de Strasbourg. Ensuite, et surtout, le fait que Gallez mette en cause l’islam, seulement lui, et non "les religions", met sérieusement en danger cette position idéologique de l’observateur athée en l’obligeant à considérer chacun des phénomènes religieux pour ce qu’il a spécifiquement été dans la réalité de l’histoire, et non pour la manifestation d’un quelconque "obscurantisme".
Alors de fait, Gallez dérange, et est très peu voire pas repris par nos universitaires subventionnés. Pourtant, à lire les travaux de Guillaume Dye ou de Françoise Micheau, on réalise qu’il y a à peine l’épaisseur d’une feuille de papier cigarette qui les sépare des positions de Gallez. Ils n’osent cependant pas franchir publiquement ce pas - c’était le prix à payer pour être invité chez (le défunt) Abdelwahab Meddeb, qui n’était pourtant pas des plus tendres avec la doxa musulmane. Gallez n’est cependant pas isolé, échangeant avec de nombreux chercheurs (dont Guillaume Dye, qui n’arrête pas e publier des découverte remarquables) , et participant à des colloques internationaux discrets.
Enfin, pour les chercheurs que vous me citez, je ne prétends pas que tout soit à jeter chez eux. Bien au contraire. Les travaux de ce que vous appelez l’école allemande s’inscrivent très bien dans le cadre global proposé par Gallez, tout comme ceux qui établissent la cohérence interne du Coran. Il reste cependant que les théories cherchant à expliquer l’apparition de l’islam ne peuvent prétendre à une quelconque plausibilité en s’asseyant sur les faits historiques (je pense surtout à Donner). J’en citerai deux, désormais absolument établis, qui mettent à mal l’islamologie classique, celle qui s’est enlisée peu à peu dans des ornières de conformité et de complaisance idéologique avec le dogme islamique :
- La reconstruction du Temple de Jérusalem en 637-638 par les conquérants arabes accompagnés dans leur conquête par des guides "judéens" (cf. AL de Prémare)
- Les origines syriennes de la communauté première des Emigrés (cf. travaux des épigraphes, sur les graffitis ou l’alphabet arabe, travaux de Crone sur le Coran)
Il en va ainsi de la recherche historique : l’établissement de faits nouveaux, les découvertes nouvelles, les approches nouvelles mettent à mal les certitudes anciennes. C’est toujours un moment douloureux à passer pour les tenants de ces certitudes. Et le fait que certains de ces tenants soient des universitaires qui peuvent voir ainsi contestée l’oeuvre d’une vie ne le rend que plus douloureux, et peut aussi expliquer les attitudes de silence gêné que j’ai mentionnées.
Je viens par ailleurs de publier sur mon site une courte synthèse en deux parties du Grand Secret de l’Islam. La deuxième partie récapitule les principales sources et travaux nouveaux au fondement du travail de Gallez, je vous en recommande la lecture.
Bien cordialement.
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