
(2/2) Voilà donc à gros traits établies la part du déterminisme chez l’homme et celle de son libre arbitre. Je dois préciser que je peaufine en même temps ma pensée sur ce sujet à mesure que je vous réponds. Je ne veux pas dire que j’improvise, mais que cela me permet de mettre mes idées en ordre.
Alors en quoi tout ce que je viens de dire nous intéresse ? N’est-ce pas une simple digression de ma part ? Non. Averroès, le célèbre philosophe arabe, grand lecteur des Grecs, chouchou des lettrés qui par son biais escomptent promouvoir le génie musulman et l’amitié entre les peuples, distinguait trois types de personnes dans chaque population donnée : les philosophes, les théologiens, le reste (quel humanisme !). Les philosophes (au nombre desquels il se comptait) sont des êtres ayant atteint un certain niveau de sagesse, capables de s’autogouverner et non assujettis aux croyances pures et dures. Les théologiens, eux, (en gros) malgré qu’ils soient conscients du caractère instrumental de la religion, sont astreints à son exercice et à son apprentissage. Le « reste », lui, très mal disposé à s’autogouverner (et Averroès reste sourd aux raisons de ce constat, ce qui est dommage) et enclin à céder à toutes sortes de séditions, devait être rigoureusement maintenu à sa place (entre animalité et démesure) par les dogmes indiscutables. Voyez, c’est typiquement le genre de hiérarchie sociale sclérosée que je déplore… mais que je comprends. Il y a beaucoup à en dire, et beaucoup en a déjà été dit en commentaires de mon article sur l’extrait de l’homme chauve-souris.
Ceci nous amène à parler d’éthique et de morale, relativement à la caractéristique médiane de l’être humain : il est animal (limite basse), rationnel (limite haute), mais aussi élément singulier d’une communauté politique, et donc astreint à certaines règles de vie commune. Il lui appartient de s’enquérir de lui-même de comportements sains, volontairement et d’être ainsi un individu éthique, responsable, ou bien de s’en remettre à des corpus de lois ou à des prêtres qui lui rappelleront constamment les garde-corps au bord de l’hybris, sans jamais avoir la satisfaction d’être autonome, autogouverné. Ce dernier est l’individu moral, consentant ou non. L’éthique part de l’un et s’élève volontairement vers le multiple, la morale est le produit du multiple et s’abat sur l’un déréglé. Pour Averroès, les sujets moraux sont bien plus nombreux que les sujets éthiques. Le philosophe est celui qui n’a plus besoin de lois (et c’est tant mieux parce qu’elles sont loin d’être toutes bonnes), il est sorti de la caverne (la cité). Il n’en a plus besoin non parce qu’il a pris le pouvoir et fait ce qui lui plaît (il serait alors à son tour dans l’hybris), mais parce qu’il a intégré et qu’il assume sa nature animale, sa condition politique, sa vocation rationnelle.
Relativement à la diversité des caractères dont je faisais étant plus haut, et même les changements de caractères et de capacités chez un seul individu tout au long de sa vie, comment donc prétendre s’en remettre à la sécheresse et à la rigidité d’un corpus de droit positif, fût-ce des droits de l’homme complaisants ? Chaque loi établie, selon moi, n’est pas une victoire, mais une défaite du grand dessein démocratique si celui-ci espère un jour voir vivre des communautés d’individus responsables et autogouvernés. Une telle échéance verrait, en définitive, la fin de la nécessité politique. Mais nous savons vous et moi que cela n’adviendra jamais, qu’un individu éminemment éthique n’engendre pas nécessairement des semblables, et que la sagesse ne passe pas dans les gènes. Tout est à refaire pour chaque individu, le progrès a difficilement prise là-dessus. Donc ? Eh bien donc un carcan minimal (Dieu et les lois) sera toujours de mise, indexé sur non sur les comportements des individus les plus éthiques, mais sur ceux des individus les moins moraux, quel que soit le nombre de ces brebis galeuses. En outre, je prétends, certes pompeusement, que si ce que je viens de décrire était enseigné aux enfants, au rebours de la célébration égalitariste de commande, nous serions déjà mieux armés pour résoudre les problèmes qui ne cesseront d’émerger des communautés humaines.
Bien à vous,
EG
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