Éric Guéguen Éric Guéguen 11 juillet 2013 21:00

Papier d’Attali cette semaine dans L’Express :
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À QUOI SERT LE 14 JUILLET ?
Lorsqu’une fête s’installe dans le paysage national, nul ne
peut imaginer qu’elle puisse un jour disparaître du calendrier.
C’est évidemment le cas pour le 14 Juillet, réjouissance populaire
depuis plus de deux siècles, fête nationale depuis
plus de cent trente ans, et sans doute pour très longtemps
encore. Même si l’événement qu’elle commémore, la prise
de la Bastille en 1789, n’est pas, et de loin, l’un des plus importants
de l’histoire de France, ni même de la Révolution,
il s’est installé au premier rang de l’imaginaire collectif,
parce que notre pays, avec ses racines rurales et féodales,
attache la plus extrême importance aux bâtiments, et parce
que la destruction d’une prison, alors presque vide, symbolisait
mieux que tout autre fait d’armes le combat contre
l’arbitraire. Son premier anniversaire fut, en plus, avec la
Fête de la Fédération, l’occasion de célébrer
l’idéal de la fraternité. Et, en 1792, il s’agit de
mobiliser la nation en danger.
Aujourd’hui encore, il ne sert à rien de fêter
le 14 Juillet si on ne se souvient pas qu’il fut ainsi
placé, à son origine, sous ce triple signe de l’indignation,
de la fraternité et de la défense de la
nation ; toutes valeurs qui conservent, plus que
jamais, leur raison d’être.
L’indignation d’abord : deux siècles après la prise de la
Bastille, le combat contre l’arbitraire est loin d’être gagné
et le 14 Juillet devrait être l’occasion de se révolter encore
et encore contre les inconséquences de l’Etat, les désinvoltures
des administrations et toutes les manifestations
d’arbitraire de tous les pouvoirs, publics et privés, politiques,
économiques ou domestiques.
La défense de la nation, ensuite : si l’armée y est, à juste
titre, à l’honneur, le 14 Juillet doit permettre de réfléchir à
la façon dont elle remplit désormais son rôle. La marine et
l’aviation bénéficient de lobbys industriels puissants, qui
leur permettent de protéger leurs budgets, rendent possibles
des gaspillages insensés (tel le Rafale, dont on ne dira jamais
assez le mal qu’il fait au budget de la France, à la structure
de nos armées et au projet européen, pour le seul bénéfice
d’une firme privée) et préservent des a priori jamais remis
en question (comme la présence permanente en mer de
deux sous-marins nucléaires lanceurs d’engin, alors que
leur maintien en veille suffirait). Pendant ce temps, l’armée
de terre, la plus authentique armée du peuple, qui risque
sa vie au premier rang de tous les combats, parce qu’elle
n’a aucun industriel puissant pour défendre sa cause, fait
les frais de tous les plans d’économies, alors qu’il faudrait
sanctuariser son budget, tant pour ses actions classiques
que pour ses opérations spéciales et pour la gestion de la
cyberdéfense, qui lui incombe très largement.
Enfin, la fraternité : la fête nationale devrait aussi nous
faire réfléchir à ce qui fait l’unité de la nation. Au moment
où l’inégalité sociale atteint son paroxysme, et où les enfants
des milieux défavorisés sont plus que jamais enfermés dans
leurs ghettos, l’abandon, tragique à mes yeux, du service
national, remplacé par un service civique ridiculement
homéopathique, a supprimé toute occasion pour les jeunes
de milieux différents de se croiser, de faire connaissance :
ils ne se rencontreront plus jamais, sinon dans une relation
hiérarchique ou dans des circonstances improbables, comme
les stages de récupération de points de permis de conduire…
Alors, que la prochaine fête nationale soit l’opportunité,
pour tous et pour chacun, de méditer sur son triple fondement.
Afin qu’elle ne soit pas seulement l’occasion de défilés militaires,
de feux d’artifice, de bals de pompiers et de discours
convenus. Et pour que la prochaine révolution française,
qui aura lieu, ne soit pas suivie, comme tant d’autres, d’une
Terreur et d’une contre- révolution, mais permette une réelle
avancée, vers une démocratie plus authentique.


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