samedi 9 mars 2019 - par Prosper

Le Grand Meaulnes, de Alain-Fournier (Jonathan Sturel sur Radio Athéna)

Chronique de Jonathan Sturel sur l'antenne de Radio Athéna, le 6 mars 2019. Dans l'émission le Rendez-vous de la Réaction animée par Adrien Abauzit. Invité du jour : Olivier Piacentini.

Thème de la chronique de Jonathan Sturel : Le Grand Meaulnes, le roman unique de Alain-Fournier.



9 réactions


  • jack Mandon jack Mandon 10 mars 2019 09:30

    @Prosper



    Notre sympathie et tendresse pour Alban, Alain Fournier, c’est le souvenir inaltérable de l’ imaginaire de notre enfance rêvée retrouvée.

    La chapelle d’Anguillon, un étrange et merveilleux enfant ouvre les yeux sur un monde déjà trop petit pour lui.

    Est-ce pour cette raison que les prénoms et les noms fleurissent dans sa tête, avant même que les mots pour le dire ne les retiennent dans leur enveloppe duale.

    Fournier Henri, Alban, Alain, François Seurel, Augustin Meaulnes, Frantz de Galais...Yvonne du même nom...Sublime apparition dans le coeur du trouvère.

    L’hybridation doucement inscrit l’itinéraire sensible et délicat d’un sentimental né d’ailleurs et de nul part. Le creuset romantique tendrement s’insinue.

    Mais enfin ce poète encore vagissant connaît aussi des origines humaines. C’est un être charnel, dans une France d’autrefois, aux contours de village, de clocher, de rumeurs artisanes et paysannes et de bruits d’enfants...

    ...

    « L’enfant vit dans un monde de rêve dont il est l’auteur. »

    ...Il ouvre au fond de lui tous les capteurs et récepteurs. Alors s’engouffrent les bourrasques, et les parfums violents de la nature suave et pleine, à l’état brut. Tant de puissance manifestée, tant d’inspiration saisie et absorbée dans cet esprit et ce corps pétris d’innocence juvénile.

    Déjà les dédoublements chimériques d’une adolescence précoce, Henri- François-Augustin Meaulnes, sans le savoir, ce poète en mouvement anticipe inconsciemment son univers de chevalier en partance pour les folles croisades de l’amour et de l’amitié. L’adolescence, clé de voûte de l’espérance de vie, traverse en fulgurances soudaines, les mondes insatiables de son imaginaire.

    ...

    Il s’avance dans le monde, porteur d’un désir « si grand qu’il plongera de l’autre coté ! » Ce langage d’illuminé, il le doit, plus encore qu’à Dostoïevski, à cette blessure intime qui le torture toujours.

    « Une partie de ma vie se passe dans un autre monde plein d’imaginations et de paradis enfantins. De plusieurs femmes, déjà, j’ai pensé qu’elles sauraient y partir avec moi. Mais aucune n’a jamais su. »

    ...Témoins malgré nous, d’une belle et triste histoire pleines d’illusions déçues, il nous reste un ouvrage qui nous parle du parfum de l’enfance et de la chimère de l’adolescence « Le Grand Meaulnes »


  • Belenos Belenos 10 mars 2019 10:05

    Je constate que je ne suis pas le seul à considérer ce roman plein d’une exquise délicatesse comme une oeuvre singulière et même unique. Je m’accorde avec ce qui en est dit dans cette vidéo ainsi que dans le commentaire de jack MandonC’est un roman magique en cela qu’il arrive à nous mettre en contact avec ce qui, au fond, nous semble le plus important dans une existence humaine, sans que nous puissions nous l’expliquer. La vie est une fleur que l’on aimerait cueillir mais dont les pétales s’envolent au moment où nous la saisissons. C’est par le fait même qu’elle se dérobe à notre désir de l’étreindre que la beauté est si tragiquement touchante. Ainsi s’enfuit notre enfance, mais dont le rêve nous poursuit secrètement toute notre existence, pour ne nous rattraper, peut-être, qu’à l’instant de notre mort.  


    • jack Mandon jack Mandon 10 mars 2019 11:10

      @Belenos

      Bonjour,

      Quand une oeuvre nous invite au creusement dans la recherche du sens, c’est quelle participe à l’auto mouvement du monde sacral, à la manière anté-socratique.
      Dans cette radicalité du vivant qui vous a invité à exprimer des choses profondes, la dialectique de Hegel s’insinue. Rappel d’Empédocle, Eros et Thanatos. L’humain est le tout du monde dans cette dichotomie douloureuse entre le temps linéaire, mortel, l’anti-thèse, et le temps universel la thèse et le Dive pour synthèse. Cet ouvrage, formellement modeste et d’une profondeur abyssale.
      Au fond, il évoque notre éternité en faisant s’animer l’indicible spirituel.
      Cependant, les mots peuvent nous manquer pour le dire.


  • Prosper Prosper 10 mars 2019 11:29

    Je discutais avec quelqu’un, récemment, qui me disait sa déception en voyant une adaptation ciné du Grand Meaulnes. C’est vrai que les deux adaptations que je connais ne sont pas à la hauteur du livre, sans pour autant que cela fasse d’eux des mauvais films. Ce sont des films, et le Grand Meaulnes est un livre, et je crois que chercher à faire dire par des films des choses qui sont dites par un livre est une gageure. Nous utilisons souvent le mot "rêverie" et "imaginaire" pour parler du Grand Meaulnes, et précisément ce livre anime chez le lecteur des images de rêverie, des souvenirs intérieurs, et cela c’est notre imaginaire qui le permet. Si la lecture du Grand Meaulnes est à ce point magique, c’est parce qu’elle éveille ou réveille en nous nos images de rêverie et nos souvenirs intérieurs, et nous aimons que ces images soient les nôtres, en nous, par nous et pour nous. Tandis qu’un film, qui est une œuvre de l’image, va mettre en scène ces images à notre place, et là où en lisant le Grand Meaulnes nous étions les acteurs de notre imaginaire, devant le film nous ne sommes plus que des spectateurs passifs. En somme, le film va nous "mâcher le travail", avec qui plus est le risque qu’il crée un univers esthétique qui n’est pas celui auquel nous pensions, créant immanquablement une sorte de déception.


    • PumTchak PumTchak 10 mars 2019 12:21

      @Prosper

      En général, on évite le film quand on a lu le livre. A mon souvenir, le seul film que j’ai vu qui a été à la hauteur du livre lu, c’est "le Tambour" de Vloker Schlondorff.


    • jack Mandon jack Mandon 10 mars 2019 13:13

      @Prosper

      On pourrait aussi pour tenter de traduire ce qui fait la complexité et la richesse de la créativité humaine. Par exemple, quand on s’abandonne à la contemplation des sculptures de Maillol, nos récepteurs sensoriels, kinesthésiques nous parlent de la plénitude de la femme, du matriciel-maternel, de Gaïa, voire du matriarcat au coeur du paléolithique, etc.
      En littérature et dans la musique, les récepteurs auditifs sont activés.
      Mais un seul exemple suffit pour nous montrer la magie du vivant. Un peu avant la pastorale, 6e symphonie de Beethoven, celui-ci est sourd. Il se trouve que la sensibilité du musicien se meut en une puissance kinesthésique et visuelle, qui donne à la Pastorale des saveurs de terroir dans une mise en scène chromatique d’une palette d’exception...ce qui ressemble étrangement à une mise en scène filmée.
      Je veux dire par la, que la créativité humaine, dans sa complexité nous parle du vivant dans sa globalité. Comme le monde des penseurs matinaux présocratiques,
      l’art est multiforme et pourtant dans son unicité absolue.



  • PumTchak PumTchak 10 mars 2019 12:13

    Je devais sans doute avoir douze, treize, ou quatorze ans, quand je l’ai lu, je m’étais immédiatement identifié à François Seurel. Augustin Meaulnes était le grand frère imaginaire, qui racontait des aventures qui ne m’étais pas encore accessibles.

    C’est Adrien Abauzit qui a trouvé le mot. Si je devais expliquer ou plutôt faire ressentir ce qu’est la féerie, c’est bien ce moment où Meaulnes s’est trouvé sans savoir comment à ce mariage étrange et sa rencontre avec Yvonne de Galais. Cela doit avoir le même effet pour un petit enfant quand il monte sur un cheval mécanique du manège qui devient alors enchanté.

    J’ai d’autres réminiscences, trop longues à raconter ici, mais qui font tout à fait écho à l’ambiance de ce mariage étrange qui sollicite à la fois l’onirisme de l’esprit et la nostalgie dans la chair et des sens.

    De façon différente, Joan Miro a aussi trouvé un langage porté sur la réminiscence, ou le jeu des impressions. Je pense par exemple à ce tableau, qui me fait venir la première chambre d’enfant, où je ne comprenais pas encore la fonction des jouets mais qui étaient des fabriques imaginaires au monde pas encore construit. Par exemple, à droite, la table ne peut être que bleue, comme la mer, puisqu’il y a un poisson à côté d’une carte qui a la forme d’un continent avec au dessus un disque à caractère astronomique.

    A la liste des écrivains de "terroirs", dans son article mis en lien, Jack Mandon a oublié "La charrette bleue" de René Barjavel. C’est une autobiographie qui présente la vie tranquille et sereine des habitants dans un village provençal au siècle dernier, l’arrivée des grandes inventions qui promettaient une vie épatante, et la guerre lointaine de 14/18, incompréhensible, qui ponctionnait des vies dans les foyers. C’est écrit avec un style clair, dégagé des outrances habituelles des romans "champêtres".


    • jack Mandon jack Mandon 10 mars 2019 13:28

      @PumTchak

      A la liste des écrivains de "terroirs", dans son article mis en lien, Jack Mandon a oublié "La charrette bleue" de René Barjavel.

      C’est d’autant plus dommageable, que j’ai pour cet écrivain à l’intuition prolifique une espèce de secrète amitié, sauf respect que je lui dois nous dirait Georges B.
      J’ai une excuse, François précède Alban de quelques décennies.

      R. Barjavel nous a quitté bien jeune...un peu comme Augustin et François.

      "Si je devais expliquer ou plutôt faire ressentir ce qu’est la féerie, c’est bien ce moment où Meaulnes s’est trouvé sans savoir comment à ce mariage étrange et sa rencontre avec Yvonne de Galais. Cela doit avoir le même effet pour un petit enfant quand il monte sur un cheval mécanique du manège qui devient alors enchanté.


      C’est bien ça, les oeuvres inspirées nous inspirent.


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