L’étonnante prédiction de Romain Gary
Dans les années 70, Romain Gary donne un entretien télévisé dans lequel il livre son analyse sur ce que va devenir la société. Il commence par contester à George Orwell la pertinence de sa prédiction, formulée dans 1984, sur la centralisation du pouvoir politique. Puis il développe sa propre vision. A-t-il fait preuve d'un quasi prophétisme ? Le fait est qu'une partie de sa prédiction s'est effectivement réalisée. Mais pas le reste. Au contraire les événements tendent plutôt à le contredire.
6 réactions
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rinbeau 2 février 2020 13:28
Je ne pense pas que Romain Gary parle de l’Etat dans ce qu’il appelle la société toit où ombrelle. Littéralement, le toit c’est ce qu’il y a de plus haut dans une construction. L’ombrelle, c’est ce qui est au dessus de nous, qui nous couvre sous prétexte de nous protéger, mais qui nous empêche de voir la lumière. C’est le principe de l’ oligarchie financière que nous décrit Romain Gary, cette nouvelle Aristocratie. Et il a raison, à la différence de celle du moyen âge qui était trop visible (tout le monde connaissait le seigneur), celle-ci ne cesse de se rendre invisible, opaque et lointaine. Nous avons bien une reproduction de l’ancien monde, avec l’Aristocratique oligarchie financière qui se transmet ses privilèges (l’argent), de générations en générations. Elle vogue de concert avec l’Etat, sorte de clergé laïque, qui est chargé d’organiser la vie des populations. Le prêtre du village était aussi intrusif, par la confession que les caméras aujourd’hui. Et un tiers Etat corvéable composé de corporations, paysans, ouvriers, commerçants et professions libérales (petite bourgeoisie). Si vous faites allusion au communautarisme religieux, aujourd’hui les musulmans, il existait aussi au moyen Age. Les Albigeois, le Protestantisme ! Quand aux homosexuels, hommes où femmes, j’en connais, ils vivent avec nous dans la vraie vie et pas entre eux. De bons amis.
Mais je pense que votre analyse laisse un vide considérable en oubliant la notion de classe, volontairement marginalisée par les télévisions, mais bien réelle, que les mouvements sociaux d’aujourd’hui remettent en devant de scène.
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Benoit Desmarais 2 février 2020 15:00
Je crois que vous commettez l’erreur d’analyser la pensée de Gary à l’aune d’une simple interview. Si son oeuvre romanesque ne vous intéresse pas, je vous suggère alors de lire ses récits et textes non-romanesques, Chien blanc et La nuit sera calme. Dans ce dernier, il prédit par exemple l’échec éventuel d’une Europe qui ne serait bâtie que sur l’économie, ou alors il parle des grandes puissances de l’époque qui n’ont à nous offrir, dit-il, que leurs éclatements. Il avait vu juste pour l’URSS avec quinze ans d’avance, pour les USA c’est en bonne voie... Sa critique du néolibéralisme et du productivisme est déjà au cœur de romans comme Les racines du ciel (1956) ou Au delà de cette limite votre ticket n’est plus valable (1975). Bref, il ne s’agit pas de dire que Gary ne s’est jamais trompé, mais votre développement souffre du fait de s’appuyer sur une source un peu maigre. De plus, sa vie (ce qui vous intéresse), sa ’persona" publique et médiatique a entraîné une grande confusion sur la nature des ses prises de position sociales ou politiques. Il affirme ainsi dans La nuit sera calme, être ce qu’on appelait à l’époque un "socialiste à visage humain" en référence à Prague en 1968. Or, de nos jours, il existe encore des gens qui le portraiturent en gaulliste politique (Dantzig dans son Dictionnaire littraire), ce qu’il ne fut jamais, et qui évidemment vient fausser toute lecture de son oeuvre romanesque.
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Prosper 3 février 2020 10:21
@Benoit Desmarais
Oh je ne sais pas si cette vidéo a la prétention d’analyser la pensée de Gary. L’ambition affichée est plus modeste que cella : il s’agit de commenter une prédiction formulée par Gary. Or, à moins que cette prédiction change d’un livre à l’autre ou d’un entretien télévisé à un autre, ce dont je doute, a priori cette prédiction est "commentable" en soi et indépendamment du reste de l’oeuvre écrite de l’auteur. -
Buk100 3 février 2020 14:58
@Benoit Desmarais
Excellente analyse, merci. On peut ajouter aussi "Gros Câlin", où il met en scène la société individualiste et la solitude qui y règne, à travers l’ "amitié" du héros envers un python...
Quant à "Chien Blanc, à lire absolument : dénonciation du racisme aux USA mais aussi d une "gauche" US antiraciste hypocrite et paternaliste. Il y décrit notamment Marlon Brando qui regarde défiler la milice para-militaire black qu’il a créée : "Chez un millionnaire qui ne risque même pas un coup de pied au cul,cela ne faisait même pas « Panthère Blanche », cela faisait caniche de salon qui pisse sur le tapis ".
Ou cette analyse toujours très actuelle : " Ce qu’il importe de dire, c’est qu’il y a parmi les Blancs des inadaptés psychologiques, des misfits qui utilisent la tragédie et la revendication des Afro-Américains afin de transférer leur névrose personnelle hors du domaine psychique, sur un social qui la légitime. Ceux qui cachent en eux une faille paranoïaque se servent ainsi des persécutés authentiques pour se retourner contre les "ennemis".
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laertes 3 février 2020 16:11
Ce qui est visionnaire dans son propos c’est l’évolution de l’usage de la technique pour communiquer indépendamment des voix institutionnelles, ce qui entraîne bien sur la fragmentation des sociétés. C’est sur la nature de la fragmentation et de son effet qu’il se trompe. Mais se tromper avant que cela arrive et tout à fait normal. Quant à Orwell, le sujet principal de 1984 ce n’est pas une société unique gouvernee par le contrôle absolu mais plutôt l’effet émotionnel immédiat sur l’être humain de la manipulation du langage. C’est dans ce domaine que 1984 reste intemporel.