Histoire des relations publiques (2)
Voici la suite de la série sur l’histoire des relations publiques au cours du XX ème siècle. Cette série explique comment ceux qui furent au pouvoir ont utilisés les théories de Freud pour contrôler les foules à l’ère moderne de la »démocratie« de marché.
Dans la première partie, la gestion moderne des foules a été explorée de trois points de vue :
-Celui de la » démocratie« de marché incarné par Edward Bernays.
-Celui du national- socialisme Allemand incarné par Joseph Goebbels.
-Celui du New Deal, incarné par George Gallup.
La première partie du documentaire s’est terminée sur la lutte aux sommets aux Etats unis entre la conception de la démocratie du binôme Roosevelt /Gallup et celle de Bernays promue par le monde des affaires.
Cette bataille entre ces deux vues sur l’être humain, à savoir s’ils sont rationnels ou non, changera brutalement avec la guerre et sacrera le triomphe d’ Edwards Bernays et d’Anna Freud. Leurs idées ont été utilisées par le gouvernement américain, par le monde des affaires et par la CIA afin de développer des techniques de gestion et de contrôle des esprits du peuple américain.
Une mise au point est ici nécessaire car le sens des mots a une importance capitale. Lorsque le terme » démocratie« sera mentionné dans cet article, il ne fera pas référence au sens premier du mot comme un régime dans lequel le gouvernement est celui du peuple, par le peuple et pour le peuple.
C’est l’élite dans ce régime qui exerce réellement le pouvoir, et pour elle, la masse est fondamentalement irrationnelle et des techniques psychologiques pour contrôler son irrationalité doivent être appliquées pour fabriquer de bons »citoyens« (comprendre de bons consommateurs). Cette élite se considérait comme nécessaire pour produire l’environnement adéquat pour que les individus soient capables de se comporter selon ses termes »démocratiquement « .Cette élite ne voyait pas ses activités et son existence comme anti -démocratiques , elle pensait être indispensable à ce qu’ elle appelait »la démocratie« .
En réalité il s’ agit d’ un régime mixte entre oligarchie ( régime politique dans lequel le pouvoir est réservé à un petit groupe de personnes qui forment une classe dirigeante , dans notre cas , l’ élite économique , politique et culturelle ) et ochlocratie ( régime dans lequel la foule en tant que masse manipulable et passionnelle a le pouvoir d’imposer sa volonté , dans notre cas , par le suffrage universel ou par ses choix de consommation).
Fondamentalement dans cette ochlo-oligarchie, le peuple est vu comme une masse irrationnelle constituée de consommateurs passifs organisés par une élite démagogique (les dirigeants mènent le peuple en le manipulant, en le flattant et en appelant aux passions pour le faire agir comme elle le souhaite , la satisfaction des désirs égoïstes rendant les masses, heureuse et par conséquent docile).
Pour rester fidèle au langage employé par les principaux acteurs, le terme » démocratie« sera utilisé dans cet article, mais les guillemets seront inversés pour signifier qu’ il s’agit bien de ce régime ochlo-oligarchique qui est l’inverse de la démocratie authentique comme le recommande Etienne Chouard dans cet entretien :
Conséquence de la seconde guerre mondiale sur les relations publiques
La barbarie Nazie a convaincu le monde de l’existence de forces irrationnelles et dangereuses cachées dans l’être humain pouvant être libérées. Pour empêcher cette barbarie de se produire une nouvelle fois, il fallait chercher des moyens de contrôler cet ennemi caché dans l’être humain.
Pendant la guerre, l’armée américaine se trouva en face d’un nombre important de dépression nerveuse parmi les troupes (49 % de to us les soldats évacués des combats furent renvoyés parce qu’ils souffraient de problèmes mentaux).L’ armée se tourna vers les nouvelles idées de la psychanalyse.
Les psychanalystes utilisèrent des techniques développées par Freud afin de remonter dans le passé des patients. Ils acquirent la conviction que les dépressions n’étaient pas des conséquences immédiate de la guerre mais que le stress du combat avait réveillé de très vieux souvenirs d’enfance et étaient des réminiscences de sentiments et de désirs violent qu’ils avaient réprimés parce qu’ils en avaient trop peur. Les psychanalystes y voyaient la preuve de la théorie freudienne : sous les apparences, les êtres humains sont guidés par des forces irrationnelles primitives. Le ratio entre rationnel et irrationnel dans l’être humain était en faveur de l’irrationnel.
Pour la classe dirigeante américaine, le seul moyen de faire fonctionner une »démocratie « et de créer une société stable était de réprimer la barbarie sauvage tapie sous le verni de la vie américaine moyenne. La » démocratie « livrée à elle-même devait nécessairement déboucher sur une société sauvage et barbare comme le nazisme.
Les psychanalystes étaient convaincus qu’ils pouvaient non seulement comprendre ces forces irrationnelles dangereuses pour la » démocratie « mais qu’ils pouvaient les contrôler par des techniques devant permettre de créer des individus capables d’intérioriser les valeurs » démocratiques « .
Anna Freud
Anna Freud est la dernière enfant de Sigmund Freud. Elle demeure tout au long de sa vie très proche de son père, affectivement et intellectuellement, devenant notamment, avec son frère Ernst, héritière légale des archives et de l’œuvre de S. Freud, après la mort de celui-ci en 1939.
Après la mort de son père, Anna devint le leader reconnu du mouvement psychanalytique mondial.
Sigmund Freud voyait la psychanalyse comme le moyen de faire comprendre aux personnes leurs pulsions irrationnelles. Anna, elle, pensait qu’il était possible d’enseigner aux individus la manière de contrôler ces forces intérieures. Elle en était venue à cette conclusion en analysant les enfants et écrit « la psychanalyse des enfants » où elle cherche l’application des principes de son père pour permettre cette psychanalyse.
Dans sa théorie , Anna , développa , pour aider les enfants à contrôler leurs pulsions internes ,l’ idée que s’ ils étaient encouragés à s’ adapter à une famille et à un environnement social idéal , la partie consciente de leur esprit serait renforcé dans sa bataille pour contrôler l’ inconscient ( l’ environnement idéal et le comportement associé étant définit par les psychanalystes eux-mêmes).
En 1946, le président Truman signa la loi sur la santé mentale nationale qui prenait racine dans les découvertes des psychanalystes qui montraient que des millions d’américains démobilisés souffraient de peurs et d’angoisse cachée. Le but de cette loi était de gérer cette menace sociale invisible.
Deux des principaux architectes de la loi étaient les frères Menninger : Carl et Will.
Will à gauche et Carl à droite , au centre le père.
Will avait dirigé les expérimentations de psychothérapie durant la guerre. Les frères étaient convaincus qu’il était possible d’appliquer les idées d’Anna Freud sur une large échelle tant aux adultes qu’aux enfants.
A la fin des années 40, un vaste projet fut lancé afin d’appliquer les idées de la psychanalyse aux masses. Des centre de formation psychanalytique furent installés dans des centaines de villes américaines, des milliers de conseillers étaient formés pour appliquer la psychanalyse au mariage et des travailleurs sociaux étaient envoyés dans les foyers afin d’instruire la population sur la structure psychologique de la vie de famille. Au centre de ce projet, l’idée d’Anna Freud : si les individus étaient encouragés à se conformer aux modèles acceptables de la vie sociale et familiale, alors la partie consciente de leur esprits serait renforcés et prendrait le pas sur leur inconscient, la » démocratie « serait ainsi préservée …
Le chemin du bonheur pour la masse devait être dans le conformisme et l’adaptation à la société sans jamais questionner la réalité. C’était le début de l’émergence du pouvoir de la psychanalyse en Amérique.
Stratégie du désir et fabrication du consentement
Les psychanalystes devenaient des hommes d’affaires qui utilisaient leurs techniques pour fabriquer des citoyens modèles (comprendre des consommateurs modèles). Un groupe de psychanalystes conduit par Ernest Dichter reprenait les idées de Bernays, en inventant une série de technique pour entrer dans l’esprit inconscient du consommateur.
Comme Bernays, Dichter pensait que les américains étaient des êtres irrationnels qui devaient être contrôlé par une élite invisible. Les raisons réelles qui les poussent à consommer s’enracinent dans les sentiments et désirs inconscient. Ernest Ditcher voulait trouver les moyens de mettre à jour ce qu’il appelait « le moi secret du consommateur américain ». Il fonde l’institut de recherche sur la motivation ("the Institute of Motivational Research").
Dichter avec d’autres psychanalystes devinrent les nouveaux ingénieurs sociaux, les « garçons des profondeurs » de la société capitaliste consumériste américaine et permirent aux entreprises américaines d’engranger les profits en associant leurs marchandises aux désirs cachés des consommateurs. Cette stratégie de gestion des masses a été appelé par Dichter « la stratégie du désir ».
Les politiciens quant à eux, se tournèrent vers Edwards Bernays afin de les aider en temps de crise à manipuler les sentiments et les peurs intérieures des masses afin d’aider la politique américaine dans la guerre froide. Bernays affirmait qu’ au lieu d’essayer d’amoindrir la peur du communisme, il fallait au contraire encourager et manipuler cette peur pour qu’elle devienne une arme pour l’élite américaine, ce que fit la classe dirigeante lors du coup d’état au Guatemala en 1954 orchestré par la United Fruit Company , la CIA et Bernays lui-même.
Bernays, qui a joué un rôle actif dans ce coup d’Etat en manipulant les américains, était convaincu que les intérêts du monde des affaires et celui des Etats unis était indivisible et que cela ne pouvait être expliqué rationnellement à la masse qui était fondamentalement irrationnelle, il valait mieux atteindre leurs peurs intimes et les manipuler. Il a nommé cela « l’ingénierie du consentement ».
Lavage de cerveau
La CIA s’intéressa à la fabrication du consentement comme outil politique dans le cadre de la guerre froide et poussa plus loin l’expérience.
A la fin des années 50 ,la CIA versa des millions de dollars aux départements de psychologie des universités américaines pour financer secrètement des expérimentations pour savoir comment altérer et contrôler les pulsions interne des êtres humains.
La plus connue de ces expérimentations a été conduite par le psychiatre Donald Ewen Cameron, président de l’ "American Psychiatric Association".
Il s’occupait de patients souffrant de divers problèmes mentaux et sa théorie stipulait que ces problèmes reposaient sur des souvenirs oubliés qu’il fallait effacer. Cameron utilisa des drogues comme le LSD et la technique de l’ECT (thérapie électro- convulsive) pour fabriquer de nouveaux individus en effaçant leur passé, faire de ces cobayes des pages blanches sur lesquels inscrire de nouveaux comportement.
Fin du pouvoir psychanalytique
Les expériences de Cameron ont été un désastre, tout ce qu’il a pu obtenir de ses cobayes, ce sont des pertes de mémoire et la capacité de répéter en boucle « je suis en paix avec moi-même ».Presque toutes les expérimentations de la CIA se sont soldées en échec.
Les expériences d’Anna Freud sur les enfants furent également désastreuses. Le suicide supposé de Maryline Monroe, suivie par un psychanalyste célèbre conduisit la société américaine à une remise en question globale sur la psychanalyse.
Bénéficiait elle aux individus ou était elle devenue une forme de contrainte dans l’intérêt de l’ordre social ? La souffrance mentale était elle une erreur, un signe de faiblesse, un symptôme d’une maladie à éradiquer ? Ou alors elle n’est pas notre ennemi, mais l’indice que la » démocratie « moderne est profondément anormale ? Les victimes ne se trouveraient elles pas parmi ceux qui semblent les plus normaux dans ce sens que la perfection de leur adaptation à cette société anormale donne la mesure de leur déséquilibre mental ?
Une attaque de la psychanalyse vint d’un best seller « la persuasion cachée » écrit par Vance Packard qui affirmait qu’elle était utilisée par l’économie afin de contrôler les gens et accusait les psychanalystes de réduire le peuple américain à un statut de poupées émotionnelles dont la seule fonction est de maintenir la fabrication en masse de marchandises.
Une autre charge vint d’un philosophe influent, Herbert Marcuse.
Son argument n’était pas de dire que la psychanalyse avait été utilisée dans des buts malhonnêtes mais il affirmait que l’idée de réprimer les forces inconscientes des individus pour les rendre conforme à la société était mauvaise, ces forces ne sont pas forcément violentes ou mauvaise et menait vers une vie schizophrénique et générait dans la société de l’agressivité.
Pour Marcuse, ce à quoi l’individu devait se conformer était déjà corrompu et altéré. La maladie venait de la société elle-même, non pas de l’humain qui vit dedans.
Martin Luther King lui-même dans un discours parlera de la psychanalyse en ces termes : « la psychologie moderne a un mot (…), ce mot est « inadapté » (…). J’aimerai vous dire qu’il y’ a des choses dans notre société dont je suis fier qu’elles soient inadaptées. Et j’invite tous les hommes de bonne volonté à être inadaptées à ces choses jusqu’ à ce qu’une bonne société soit réalisée. Je dois vous dire honnêtement que je ne me suis jamais adapté moi-même à la ségrégation raciale, à la discrimination, à la bigoterie religieuse, aux conditions économiques qui prennent le nécessaire à beaucoup et offrent le luxe à quelques uns laissant des millions d’ enfant de Dieu s’ étouffer dans la pauvreté au milieu d’ une société d’ abondance ».
L’influence politique des psychanalystes Freudiens était terminée, ils étaient accusés d’avoir aidé à la création d’une forme répressive de contrôle social.
Le prochain épisode de cette série racontera l’histoire de la montée au pouvoir des ennemis de la famille Freud qui pensaient que construire une meilleure société passerait par un moi librement exprimé offrant ainsi à l’ élite économique et politique une autre façon de gérer les masses en nourrissant des désirs infinis.
Lien menant à la première partie : http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/histoire-des-relations-publiques-144260
Sources : ftb Nestapaname2