Syrie : des négociations entre Etats-Unis et Russie pour la paix (T. Meyssan)
Dans un entretien donné le 30 octobre à la radio franco-iranienne (merci au site Egalité & Réconciliation d'avoir relayé la vidéo), Thierry Meyssan du Réseau Voltaire fait le point sur la situation en Syrie en évoquant la trêve entre l'armée syrienne et les rebelles, puis (sans doute le plus intéressant) les négociations en cours entre les puissances impliquées de près ou de loin dans le conflit, notamment les Etats-Unis et la Russie, en vue de réinstaurer la paix. Celles-ci semblent près d'aboutir, la France et Israël étant les seuls pays à s'y opposer. Décryptage.
Thierry Meyssan fait allusion (à 3:00) à un accord signé le 30 juin à Genève, il s’agit de celui du "Groupe d’action sur la Syrie" réunissant les membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et certains pays voisins de la Syrie. Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, a d’ailleurs tenu à rappeler lors de sa rencontre avec Laurent Fabius ce mercredi à Paris, que cet accord ne stipulait à aucun moment que Bachar el-Assad devait partir, contrairement à ce que souhaite son homologue : "Il n’est pas correct d’interpréter le communiqué final de Genève comme la décision sur le sort d’Assad. Le document ne dit pas que les dirigeants syriens doivent partir, c’est le peuple syrien qui décidera du départ de Bachar el-Assad" (source).
Selon Thierry Meyssan, cet accord est aujourd’hui la base des négociations malgré une tentative organisée de sabotage après sa conclusion le 30 juin, et ce du fait de "l’engagement des puissances occidentales dans une guerre secrète". Il fait ici allusion à des "fuites dans la presse" qui ont effectivement révélé tout au long de l’été :
- l’appui de la CIA aux rebelles au niveau logistique et dans l’acheminement d’armes : voir ici et ici ; mais aussi l’autorisation qui a été accordée par Barack Obama à la même CIA pour agir directement contre le gouvernement syrien (source) ; ou encore la dérogation accordée par le Département d’Etat à l’association "Syrian Support Group" pour apporter une aide financière et logistique à l’Armée syrienne libre (source).
- l’appui logistique du Royaume-Uni aux rebelles, annoncé dès février par le ministre William Hague et concrétisé en août par des opérations britanniques menées depuis des bases chypriotes pour permettre aux rebelles de lancer des attaques sur les forces gouvernementales (source) ;
- l’appui logistique de la France aux rebelles, annoncé en juin par Laurent Fabius et prolongé en septembre avec un financement des zones libérées et un possible approvisionnement de celles-ci en armes lourdes (source) ;
- l’appui logistique de l’Allemagne aux rebelles via une opération menée en août par le navire d’espionnage Oker (source).
Ces soutiens occidentaux sont donc venus compléter ceux des puissances régionales (principalement l’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar), et une structure d’échange de renseignements et de planification a même été mise en place en septembre (source). Selon l’ancien agent de la CIA Philip Giraldi, c’est pas moins d’une cinquantaine d’agents de renseignement occidentaux qui se seraient trouvés récemment à la frontière turco-syrienne.
Pour Meyssan, cette guerre secrète a donc échoué et on est "revenu au point de départ du 30 juin", l’application de l’accord acquis ce jour-là étant même imminente selon lui. Les Etats qui se sont investis dans cette guerre en sortiraient donc perdants, et ce changement expliquerait le dernier voyage de l’émir du Qatar dans la bande de Gaza ou les nouvelles discussions entre la Turquie et l’Iran.
La fin de la voie militaire pronostiquée par Meyssan serait-elle liée à l’enlisement du conflit, malgré des succès récents des rebelles et une Armée syrienne libre qui revendiquait cet été des effectifs ayant dépassé les 100 000 hommes (voir ici et ici) contre 40 000 hommes en janvier (source) ? Il semblerait qu’on ait plus affaire à une perte de patience face au manque d’organisation de l’opposition syrienne qu’à un réel découragement.
Dans le même temps, on constate que le Conseil national syrien, qui avait été pendant longtemps l’interlocuteur privélégié de l’opposition syrienne pour les Occidentaux, est définitivement en perte de vitesse en tant que tel puisque Hillary Clinton a carrément déclaré ce 31 octobre : « Nous avons clairement dit que le CNS ne peut plus être considéré comme la figure de l’opposition. Il peut faire partie d’une opposition élargie, mais cette opposition doit intégrer des personnes qui se trouvent en Syrie. » La formation d’un gouvernement provisoire semble également en vue après l’engagement des diverses composantes de l’opposition à concrétiser cet objectif (source).
Il faudra donc surveiller avec attention les prochaines actualités sur ce conflit syrien pour vérifier si on a bien affaire à un virage.