mercredi 11 décembre 2019 - par Orwell

Thomas Piketty : « Il va y avoir des crises sociales extrêmement violentes »

Dans cet entretien vidéo exceptionnel, l’économiste Thomas Piketty décrit la situation profondément inégalitaire qui mine les sociétés aujourd’hui. Si l’inégalité ne décroît pas rapidement, avertit-il, il se produira des « crises extrêmement violentes ».

Thomas Piketty est un des économistes qui ont rendu visible l’abyssale inégalité qui caractérise les sociétés contemporaines. Auteur de Capital et idéologie (Seuil, 2019), mais aussi du rapport Carbon and inequality (2015), il décrit dans cet entretien les perspectives de chaos si rien ne change, les moyens de réduire l’inégalité, le lien entre changement climatique et inégalités, et enjoint aux écologistes de faire des choix clairs.

Thomas Piketty commence par expliquer sa différence avec Marx (auteur du Capital) : « Une vision purement matérialiste de l’histoire est insuffisante. (...) Après la lutte des classes, il y a toujours la lutte des idées. »

Il présente ensuite « l’idéologie propriétariste », c’est-à-dire comment les riches justifient l’inégalité (4’35’’). « Aujourd’hui, un discours de sacralisation de la propriété dit que si on remet en cause les droits de propriété issus du passé, cela conduira au chaos. » Une théorie fausse : « Au XXe siècle, on a connu des barêmes d’imposition extrêmement progressifs, qui ont eu beaucoup de succès avec une réduction forte des inégalités. »

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Mais ce changement n’a-t-il pas été induit par le cataclysme de la guerre de 14-18 et ce qui s’en suivi ? « Un cataclysme qui est lui-même la conséquence des très fortes inégalités de l’époque » (10’30’’). Mais dans la deuxième partie du XXe siècle, les inégalités ont recommencé à croître, notamment du fait des « insuffisances du modèle social-démocrate, qui a conduit à la période libérale et à la progression des inégalités » (15’40’’).

Y a-t-il aujourd’hui une issue possible aux très fortes inégalités autre qu’un recours à la violence ? (16’30’’) A la différence de la situation précédant la guerre de 1914, répond Piketty, il n’y a pas de rivalité internationale poussant à la guerre. Mais, particulièrement en Europe, « on a un divorce, un clivage social face à la question de la mondialisation, qui menace de tout faire exploser » (17’35’). « Soit il y aura une explosion de cette construction européenne, soit la prise par la force de nationalistes avec un potentiel de violence. (20’15’’) - Ca vous fait peur ? Oui, ça me fait très peur. »

« Des violences urbaines qui peuvent prendre une ampleur bien supérieure à ce qu’on a pu voir récemment »

Pourtant, il y a des solutions. Mais comment les appliquer alors que les riches se raidissent ? (21’46’’). « C’est à la faveur des crises que se produisent les changements. Les choses ne vont pas se passer de façon apaisée. Il va y avoir des crises qui peuvent prendre des formes que je suis incapable de prévoir, mais qui peuvent être des crises sociales extrêmement violentes, avec des violences urbaines qui peuvent prendre une ampleur bien supérieure à ce qu’on a pu voir récemment, des crises financières. Historiquement, dans certains pays, notamment aux États-Unis, ce qui fait la différence, c’est la crise des années 1930, qui a provoqué un traumatisme et qui a permis la mise en place de politiques totalement impensables quelques années auparavant. » (22’35’’)

Mais « dans tous les cas, ça ne dispense de réfléchir à comment organiser les choses ensuite ». Et Piketty invite à réfléchir à « une nouvelle forme de socialisme » (25’40’’), mettant en œuvre la redistribution du pouvoir et de la propriété, ainsi que la justice éducative.

 

« On ne résoudra pas la crise climatique si on ne réduit pas les inégalités économique »

Quid du changement climatique ? « J’ai peur que si l’on attend de constater les conséquences du changement climatique, ce soit trop tard. La crise inégalitaire, on peut s’en saisir dès maintenant » (32’20’’). De toute façon, « on ne résoudra pas la crise climatique si on ne réduit pas les inégalités économique ».

Piketty critique ensuite les ambiguïtés des écologistes politiques. « En Marche a été le réceptacle d’élus socialistes et d’élus écologistes. On observe la même ambiguïté [à l’égard des néo-libéraux] en Allemagne avec les Grünen. La question de fond est : qu’est-ce qui est le plus important pour résoudre la crise climatique ? La réponse : remettre en cause la circulation des capitaux. Les écologistes doivent réfléchir à une alliance avec La France insoumise, ou, en Allemagne, avec Die Linke. » Mais ces partis de gauche doivent quant à eux réfléchir davantage à la coopération internationale qu’ils veulent, notamment à propos de l’Europe.

En définitive, Thomas Piketty, quel est votre rapport à la croissance ? (40’25’’) « À la croissance, de quoi ? » répond-il. « Il faut penser de nouveaux indicateurs économiques. Moi, je n’utilise jamais le PIB [produit intérieur brut], mais le revenu national, où l’on soustrait toute la consommation du capital et des ressources naturelles. » Par exemple, dans le revenu national, l’extraction du pétrole et sa combustion se traduisent par une baisse de la valeur globale. Mais un seul indicateur ne suffit pas : « Il faut se donner des cibles, par exemple sur les émissions de carbone, et opérer un suivi très strict des émissions, catégorie sociale par catégorie sociale. »



16 réactions


  • mat-hac mat-hac 11 décembre 2019 13:06

    La principale trouvaille de Piketty est de passer la loi de Pareto visiblement de 80 à 60 pour ceux qui veulent. Je pense qu’elle est de 99. Je pense que c’est plutôt un mandat en réalité.


  • maQiavel maQiavel 11 décembre 2019 13:24

    Très intéressant, merci du partage.

    Concernant l’UE, je ne suis pas d’accord avec Piketty, je ne pense pas qu’elle soit réformable et je suis pour une sortie. Mais il pose une bonne question : quelle est l’alternative ?  Comment on remet au pas un pouvoir actionnarial mondialisé et financiarisé qui met en concurrence fiscale les pays les uns avec les autres ? Dire qu’on veut sortir de l’UE pour revenir à la situation de la France des années 60 ne suffit pas, le capital au XXIème siècle est structuré différemment …


    • maQiavel maQiavel 11 décembre 2019 19:32

      @pegase

      Ça ne répond pas à la question qui est posée ici.

      La question est la suivante : comment on décide d’une politique fiscale dans un système économique mondialisé ultra-concurrentiel ? Le simple contrôle des capitaux limité à un seul pays,qui était largement suffisant dans les années 60 dans le cas de la France, ne suffira plus aujourd’hui car le capital est maintenant largement financiarisé et très mobile. De fait, à cause du jeu de la concurrence fiscale, un pays qui ferait le choix d’une fiscalité forte pour les multinationales sera à moyen et long terme moins compétitif que les autres. C’est pour ça qu’il y’a des gens qui proposent une harmonisation fiscale internationale. Je ne crois pas qu’elle puisse avoir lieu au sein de l’UE et je ne crois pas en l’UE. Une fois qu’on a dit ça et qu’on propose de sortir de cette UE, on fait quoi pour ce problème d’harmonisation fiscale ?


    • wendigo wendigo 11 décembre 2019 20:00

      @maQiavel
      harmonisation fiscale , c’est de la novlangue pour dire "fédéralisation fiscale".
      Pour répondre à votre question "on fait quoi pour ce problème d’harmonisation fiscale ? ", je dirais qu’il ni a qu’à en finir avec la fiscalité, fiscalité qui n’est rien d’autre qu’un racket, un outil de domination. Pour utiliser le terme novlanguesque , il faut que les peuples "s’harmonisent" avec les multinationales dans un néo-libéralisme total. (et dans ce cas les multinationales devront enfin se démerder toutes seules quand elles seront en faillite.)


    • CoolDude 11 décembre 2019 20:21

      @maQiavel

      Je ne suis pas expert... Mais Harmonie fiscal ne va pas t’il de pair avec harmonie monétaire ? Pour moi, il y a un lien.


    • maQiavel maQiavel 11 décembre 2019 21:15

      @wendigo

      Vous proposez donc une sorte de féodalisme des temps post modernes smiley . Parce que concrètement, en finir avec la fiscalité, c’est en finir avec l’Etat tel que nous le connaissons. Les fonctions régaliennes seront assurées par des entités privées et ce que vous préconisez dans ce contexte, c’est à dire l’harmonisation des peuples et des multinationales, n’est rien d’autre que la mise en place de nouveaux liens d’allégeance ( c’est-à-dire que les peuples deviennent formellement subordonné aux plus grandes entreprises). Si ce « néolibéralisme total » est votre idéal politique, pourquoi pas smiley ? Mais disons que ma question s’adressait aux gens qui veulent précisément échapper à ce type de scénario. smiley

      @CoolDude

      Il me semble que des pays peuvent avoir des politiques monétaires différentes mais être harmonisé fiscalement. Mais pourquoi pensez-vous que cela va de pair ? Vous pensez aux effets des dévaluations compétitives ? A autre chose ?


    • wendigo wendigo 12 décembre 2019 19:55

      @maQiavel

       NNon non, vous me prêtez des propos que je n’ai pas tenu, je disais juste de nous passer des états , et de vivre l’anarchie. Pourquoi seules les multinationales pourraient revendiquer leur liberté. les peuples doivent se mettre au même niveau que les entreprises, plus d’état pour elles, alors plus d’état pour nous.
      les états ne servent plus que les multinationales, ils n’en veulent plus pour eux, mais s’en servent contre nous ..... harmonisons nous sur eux et le tour est joué. A une époque où l’on nous vend de l’égalitarisme à tout va, prenons les au mot !
      https://www.youtube.com/watch?v=j5arZGgyGSc


    • maQiavel maQiavel 12 décembre 2019 23:47

      @wendigo

      Mais les multinationales ne demandent que ça : qu’on se passe des Etats. Quoi qu’on puisse en penser, les Etats constituent encore pour elles une entrave. L’anarchisme malheureusement ne se décrète pas, c’est un état qui se gagne par le combat politique et aujourd’hui on en est très loin à tout point de vue. Abandonner les Etats, c’est soumettre totalement les peuples à néolibéralisme de type féodal fonctionnant suivant des mécanismes d’allégeance.

      Comme disait Chomsky, l’État est une cage mais le capitalisme transnational, situé à l’extérieur de cette cage, constitue une menace encore plus dangereuse pour les populations que le cadre étatique.


    • Mr.Knout Mr.Kout 13 décembre 2019 12:55

      Si l’état est une cage, c’est celle qu’on met autour des plongeurs dans une mer à requins, c’est pour cela que l’anarchisme doit être une lutte contre l’illégitimité des représentations et non une lutte contre la représentation elle même.
      Les citoyens qui sacrifient l’entraide pour plus de libertés individuelles finiront par perdre les deux, on pourrait utilisé le passé sur cette phrase......


    • wendigo wendigo 13 décembre 2019 20:40

      @maQiavel

       Non, les multinationales veulent que ELLES elles se passent des états ; mais juste ELLES. Elles ont trop besoin des états pour justement tenir les populaces en cage !


    • maQiavel maQiavel 14 décembre 2019 20:47

      @wendigo
      Si on se passe des Etats, elles deviendront les Etats puisqu’elles en assureront la fonction. C’est d’ailleurs une idée qui germe à la Silicon Valley en ce moment … 


  • Clocel Clocel 11 décembre 2019 14:59

    Du pipeau Piketti, du pipeau...

    Il ne mordra jamais la main qui l’engraisse...

    Next !


  • Serge ULESKI Serge ULESKI 11 décembre 2019 16:27

     

     

    Dommage qu’il n’y ait personne pour re-placer dans un contexte plus général cette réforme des retraites car celle-ci a bien évidemment tout à voir avec les réformes du droit du travail, des droits des chômeurs, du financement des services publics - de l’hôpital en particulier -, qui l’ont précédée ; reformes conduites par les locataires de l’Elysée et de Matignon ; premier niveau de la remise en contexte de cette réforme des retraites.

     

    A un deuxième niveau contextuel, on trouvera l’U.E qui réclame ses réformes depuis 20 ans et que la France peine à conduire ; une France en retard sur la remise en cause d’une logique de financement approprié d’une société solidaire et performante en termes de protection et de sécurité sociale ; comprenez : une France en retard de précarité généralisée et de paupérisation croissante d’une partie importante des salariés. 

     

    Au-dessus de l’U.E… à un troisième niveau, on trouvera le mondialisme : projet de mise en concurrence de tous contre tous… ( de toutes les économies ) à la tête duquel on trouvera le Capital ; un Capital mondialisé qui n’a de cesse depuis trente ans de faire face à la menace d’une baisse drastique des profits - des taux de retour sur investissement – qui, aujourd’hui, a deux causes principales : la fin d’une énergie bon marché ; la fin d’une exploitation irresponsable d’énergies fossiles qui tuent notre planète et étouffent sa population, avec pour conséquence, la fin de la croissance (énergies abondantes et bon marché) ou bien plutôt, la fin d’un modèle de développement uniquement basé sur cette croissance, le tout dans le cadre d’une transition écologique qui ne peut avoir lieu que dans la récession. Pas de croissance pas de profit ! Or, la baisse des profits n’est pas une option pour le Capital mondialisé. Reste alors une solution : la baisse drastique des taxes, des prélèvements, de la redistribution, des salaires et des protections ; notons que les GAFAM soutenus par les présidences étasuniennes successives – qui rechignent à être taxés, sont déjà dans cette logique du refus de l’impôts. 

     

    Reste un dernier niveau, comme un retour à la case départ, qui concerne les acteurs de la conduite des réformes évoquées plus haut, à savoir la classe politique en générale et les locataires en particulier des lieux d’exécution de cette logique mondialiste du Capital : Matignon et l’Elysée en ce qui concerne la France ; à ce dernier niveau, tout personnel, hyper-individualiste et intéressé, un niveau au ras de pâquerettes, on trouvera un seul souci : les perspectives de plan d’évolution de leurs carrières à tous au plus haut niveau, à l’international principalement, car tous ont intégré ce qui suit : laisser plus de pauvres derrière soi en quittant ces postes d’exécution des directives du Capital mondialisé (le maître d’Ouvrage) avec l’U.E comme maîtresse d’œuvre, est un impératif pour quiconque souhaite prétendre à ces carrières. Car enfin, pourquoi alors se donner autant de mal !

     

    En Europe, Tony Blair ( aidé par Thatcher qui l’a précédé) et Gerhard Schröder seront sans doute les premiers à s’y conformer ; à propos de Merckel, on peut déjà prédire qu’elle n’aura pas dérogé ; quant à Macron, étant donné le « retard » pris par la France, on peut déjà le nommer champion toutes nationalités confondues, de cette loi d’airain : plus de précarité, plus de pauvres, toujours et encore plus… après le passage d’exécutants (appelons-les « Premier ministre, Chancelier ou Président » ) membres d’une caste cooptée par un Capital dont on aurait vraiment tort de sous-estimer les qualités de prévoyance, d’anticipation… notamment au sujet de l’urgence climatique et ses conséquences sur la croissance et les profits. Rien de surprenant à cela, puisque gérer c’est prévoir. 


    • maQiavel maQiavel 11 décembre 2019 16:48

      @Serge ULESKI

      Très bon post.

      Je préciserai qu’au troisième niveau, celui du capital mondialisé, il faudrait étudier le rôle joué par les grands fonds d’investissement, notamment BlackRock, le plus puissant d’entre eux.



  • zzz999 12 décembre 2019 16:53

    les ultra riches ayant un total ascendant sur leurs petits toutous politiques, merdiatiques et économiques et étant devenus dingues du fait d’une apétance sans limite et donc non contrôlée pour le pognon quitte à sinistrer la planète entière nous vivons un aller simple vers un MAD MAX planétaire et tout le reste est du pipeau.


  • Earthnet Earthnet 13 décembre 2019 11:40

    Abat l’argent, abat l’état. L’idéal communiste en fait c’est de l’ultra libéralisme ^^


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