Coût de l’euro : cause profonde du mouvement des « Gilets jaunes » ?
Pour sa chronique sur RT France, l'économiste Jacques Sapir décrypte une récente étude du centre de politique européen (CEP), selon laquelle, la France, depuis la création de l’euro en 1999, aurait perdu 3 591 milliards d’euros en 20 ans. D'après ce think tank allemand d'inspiration ordolibérale, la France serait, avec l'Italie, le pays qui aurait le plus pâti de l'adoption de l'euro. Quant aux Français, ils auraient perdu en moyenne chacun 56 000 euros sur la période 1999-2017. Et le grand gagnant serait l'Allemagne avec un gain de 23.116 euros par habitant. Pas de surprise : le pays s'est servi de l'euro pour exporter ses produits de haute valeur ajoutée.
La conclusion de l’étude, plutôt étonnante venant d’un centre qui s'inscrit dans la tradition de l'école de Fribourg, est que le bilan global de l’euro à l'échelle de l'économie européenne est plutôt négatif. Le CEP mentionne l'importance d'un outil de politique économique mort avec l'adoption de l’euro : la dévaluation. Depuis l'usage de la monnaie unique, les gouvernements n'ont plus la possibilité de dévaluer.
Selon plusieurs critiques, cette étude ne tiendrait pas debout car la méthode utilisée s'appliquerait en général aux analyses microéconomiques, et non macroéconomiques de long terme. De plus, il y’aurait un problème de validité interne de l’étude du fait des données retenues pour générer l’analyse, notamment par rapport au groupe de contrôle retenu : en en modifiant les membres, selon d'autres critères, on peut aboutir à des résultats différents, par exemple que l'Allemagne sort perdante de l'euro ou la France grande gagnante. Il y a quelques années, une étude effectuée par d'autres économistes et utilisant la même méthode avait donné, de fait, des résultats tout à fait différents. Selon certaines de ces critiques, le biais de l'étude consiste à imputer à l'euro la faiblesse de croissance de certains pays mais l'Italie par exemple souffrait déjà d'un déficit de productivité dans les années 90, avant l'adoption de l'euro. Ce dernier ne saurait donc être le coupable. En France comme en Italie, ce serait plutôt le manque de réformes structurelles qui a conduit à la mollesse de la croissance.
Cependant, selon Jacques Sapir qui reconnait quelques bizarreries dans le choix du groupe de contrôle, on ne peut pas rejeter cette étude d’un revers de main, il n’y a d’ailleurs pas d’innovations dans la méthode de l’institut, la technique du groupe de contrôle étant très couramment utilisée. De plus, ses résultats sont confirmés par d’autres études comme celles du FMI qui publie tous les ans l’« External Sector Reports » qui conclut que l’euro est sous-évalué pour l’Allemagne mais au contraire surévalué pour la France. Il existe par ailleurs d’autres études, dont certaines menées par le centre de recherche auquel appartient Jacques Sapir, qui arrivent à peu près aux mêmes conclusions.
L’euro entrainerait une telle perte de pouvoir d’achat qu’on pourrait se demander si cette monnaie n’est pas la cause profonde du mouvement des « Gilets jaunes ».
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