maQiavel maQiavel 2 octobre 2014 12:59

Bonjour Le marquis

-Avant toute chose, je tiens à préciser que dans aucun de mes cours d’anthropologie je n’ai entendu parler de sociétés sans dirigeants, qu’ils soient de nombre restreint ou élargie. Je suis donc trés impatient que vous me renvoyiez à des liens écrits, ou mieux, des reportages vidéos (format le plus adapté pour mon style de vie).

------> Il y’ a de nombreux anthropologues qui expliquent que les communautés primitives  n’avaient pas de chef, en tous cas pas tel qu’on les entend aujourd’hui.

Je pense par exemple aux travaux  d’Alain Testart ou de Pierre Clastres qui a écrit « la société contre l’Etat  ». Il y’ avait à une époque un long reportage sur ses travaux mais apparemment, les vidéos ont disparues.

Il existe énormément d’études sur le sujet, qui s’ appuie parfois sur les vestiges de communautés paléolithique encore existante , chez les amérindiens en Amazonie ou chez les Bushman du Kalahari , ce qui ne veut pas dire que cette thèse est une vérité absolue incontestable, mais dans tous les cas, il y’ a débat …

-Tout d’abord, à l’inverse des anarchistes, je soutiens la thèse que les hiérarchies sont inéluctables.

------> C’est un postulat sur lequel on peut débattre, mais non une vérité absolue, que personne ne peut prouver ou démontrer. C’est votre perception de la nature humaine et comme celle des anarchistes, elle est subjective et relative à votre idéologie, votre histoire personnelle, votre culture, vos origines sociales etc.

-Les communautés qu’elles soient animales ou humaines doivent faire face à la nécessité de l’organisation. La première étape essentielle et inéluctable à l’organisation de la structure sociale est la répartition des tâches.

------> Excellente remarque. Justement, les anthropologues dont j’ai parlé plus haut notent que dans les communautés primitives la division du travail est archaïque, çàd qu’elle ne s’appuie que sur le genre et sur l’âge.

Hormis ces deux paramètres, les individus font tout ce que les autres individus sont capables de faire au niveau organisationnel.

Et c’est d’ ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, la démographie dans ces communautés primitives était si contrôlée, il ne fallait pas que la communauté soit suffisamment nombreuse pour que se crée structurellement une division du travail sur d’autres paramètres que ceux cités plus haut. Quand ces communautés ne parvenaient pas à contrôler leur démographie, elles se fragmentaient pour retrouver le nombre d’individus requis pour empêcher cette division du travail.

Ce qui m’amène à préciser votre postulat : les sociétés complexes (à l’opposée des sociétés primitives dans lesquelles la propriété privée n’existe pas, vivant sur une économie de subsistance, sans richesse et à la division du travail minimale) doivent faire face à la nécessité de la division du travail et de la hiérarchisation. 

-Plus la structure sociale devient complexe, plus l’organisation de cette dernière devient une tâche, une compétence à part entière.

 ------> Exactement. On est donc d’ accord.  

-Le pouvoir, c’est la capacité à influer sur la structure sociale.Le pouvoir d’influer sur la structure sociale passe par le pouvoir de mener des hommes derrière soit. De provoquer l’adhésion. 

 ------> Pour Pierre Clastres le pouvoir politique est universel, immanent ou social, et on distingue donc : pouvoir coercitif (fondées sur les relations de commandement-obéissance, propices donc au pouvoir comme coercition et potentiel d’exploitation) et pouvoir non coercitif.

Dans les communautés archaïques le maintien du statut de dépendance du chef à l’égard du groupe est un point essentiel. Le contraire entraînerait une fin de la réciprocité et laisserait le pouvoir à l’extérieur de la communauté, un pouvoir extérieur et créateur de sa propre légalité qui représenterait un risque mortel pour le groupe car il pourrait alors s’exercer contre lui. C’est précisément pour parer à ce risque de dérives que ces communautés s’ingénient à dresser des obstacles devant la réalisation pratique du pouvoir coercitif.

Je pense donc que cette distinction entre pouvoir coercitif et pouvoir non coercitif est ici essentielle.

-Une hiérarchie de pouvoir "naturelle" de part les compétences pratiques, les tempéraments, les personnalités, et aussi les capacités en matière de séduction. L’homme charismatique plein de prestance aura plus de pouvoir social que l’effacé introverti.

 

------>  Vous ne pourrez jamais certifier que ce pouvoir est naturel et non culturel.

Vous parliez du charisme, et bien selon la culture et la structure sociale peut s’exprimer différemment, pour les amérindiens par exemple, c’est celui qui sait parler qui est charismatique.

C’est ainsi que les chefs indiens étaient des hommes  éloquent mais il faut noter ceci : la parole n’est pas le droit du pouvoir, dans les Sociétés sans État au contraire, la parole est le devoir du pouvoir. Ou, pour le dire autrement, les sociétés indiennes ne reconnaissent pas au chef le droit à la parole parce qu’il est le chef : elles exigent de l’homme destiné à être chef qu’il prouve sa domination sur les mots. Parler est pour le chef une obligation impérative, la tribu veut l’entendre : un chef silencieux n’est plus un chef.

 Dans l’obligation faite au chef d’être homme de parole transparaît toute la philosophie politique de la société primitive. Et c’est la nature de ce discours dont la tribu veille scrupuleusement à la répétition, c’est la nature de cette parole qui nous indique le lieu réel du pouvoir.

Que dit le chef ? Qu’est-ce qu’une parole de chef ? C’est, tout d’abord, un acte ritualisé. Presque toujours, le leader s’adresse au groupe quotidiennement, à l’aube ou au crépuscule.

La parole du chef n’est pas dite pour être écoutée. Paradoxe : personne ne prête attention au discours du chef. Ou plutôt, on feint l’inattention. Si le chef doit, comme tel, se soumettre à l’obligation de parler, en revanche les gens auxquels il s’adresse ne sont tenus, eux, qu’à celle de paraître ne pas l’entendre.

Pourquoi le chef de la tribu doit-il parler précisément pour ne rien dire ? A quelle demande de la société primitive répond cette parole vide qui émane du lieu apparent du pouvoir ? Vide, le discours du chef l’est justement parce qu’il n’est pas discours de pouvoir : le chef est séparé de la parole parce qu’il est séparé du pouvoir. 

Dans la société primitive, dans la société sans État, ce n’est pas du côté du chef que se trouve le pouvoir : il en résulte que sa parole ne peut être parole de pouvoir, d’autorité, de commandement.

En contraignant le chef à se mouvoir seulement dans l’élément de la parole, c’est-à-dire dans l’extrême opposé de la violence, la tribu s’assure que toutes choses restent à leur place, que l’axe du pouvoir se rabat sur le corps exclusif de la société et que nul déplacement des forces ne viendra bouleverser l’ordre social. Le devoir de parole du chef, ce flux constant de parole vide qu’il doit à la tribu, c’est sa dette infinie, la garantie qui interdit à l’homme de parole de devenir homme de pouvoir.


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