Étirév 23 septembre 2022 08:21

LE SAINT SUAIRE DE JÉSUS
Le succès obtenu par la légende de Véronique et de l’image de Jésus, qui, depuis plus d’un siècle, était devenue populaire et avait passé par la crédulité publique pour Une vérité acquise, eut un résultat qui était à prévoir ; il suscita des imitateurs, et, comme toujours, les derniers venus allèrent plus loin que leurs devanciers. Ce ne fut plus seulement la face de Jésus qu’on prétendit avoir dans une empreinte ; on imagina de représenter son corps tout entier, imprimé sur un linceul, et on créa le Saint Suaire du Sauveur.
On se préoccupait peu à ce moment de la vérité historique ; on n’avait même pas l’idée de consulter les Évangiles, et l’idée qu’on pouvait se mettre en opposition avec les textes ne pénétrait même pas dans les esprits.
En effet, l’Évangile de saint Jean dit ceci :
« Simon Pierre entra dans le sépulcre et vit les linceuls posés à terre et le suaire qui avait couvert la tête, séparé des linceuls et plié à part. »
Si le suaire couvrait seulement la tête, comment porterait-il l’image du corps ?
Mais les faussaires ne pensent pas à tout. Voici l’histoire de cette relique :
Le 20 juin 1353, Geoffroy 1er de Charny, chevalier, seigneur de Savoisy et de Lirey, fonde et dote la collégiale de Lirey (Aube) et offre à l’église des présents où, parmi des vases précieux et autres reliques, se trouve une image ou représentation du suaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont l’ostension attire bientôt de tous côtés les pèlerins et les aumônes.
Quelque temps après, nous voyons l’évêque de Troyes s’émouvoir de l’état de choses, qui commence à donner lieu à la légende. Et ici nous assistons à une lutte fort curieuse des chanoines de Lirey, en guerre contre leurs évêques, qui successivement interdisent l’exhibition pompeuse destinée à tromper la population sur la nature de l’image. Les théologiens réunis en conseil reconnaissent une peinture habile et font en outre cette observation : si le Sauveur avait réellement imprimé sa face et son corps sur le linge qui l’enveloppait, comment les évangélistes auraient-ils omis de mentionner un tel événement ?
Cependant, le chapitre de Lirey ne se tient pas pour battu ; un messager envoyé à la cour d’Avignon rapporte l’autorisation donnée par Clément VII d’exposer publiquement le Saint Suaire malgré la défense de l’évêque.
Pierre d’Arcis écrit alors au roi de France. Et bientôt le bailli de Troyes, au nom du Parlement de Paris, commande au doyen et à ses chanoines de livrer le drap. Ils refusent et font appel au pape. L’évêque en fait autant dans un mémoire très curieux où il établit la vérité. Tout ceci se passe en l’an 1389.
Le pape répond par quatre bulles, dont la première est décisive, puisqu’elle ordonne à quiconque exposera le Suaire de proclamer à haute et intelligible voix que cette image ou représentation n’est pas le vrai suaire de N.-S. J.-C, mais seulement une peinture, un tableau qui le figure ou représente. Si la conviction de Clément VII n’était pas faite avant, il est certain que le mémoire de l’évêque suffit à l’éclairer. Ce mémoire atteste un fait très important : l’aveu du peintre lui-même. Dans la minute originale qui existe dans les manuscrits de la Bibliothèque Nationale (collection de Champagne), se trouve cette phrase :
« Et enfin, à la suite d’un examen attentif et d’une enquête diligente, il a découvert la fraude et reconnu par quel procédé l’étoffe avait été peinte. L’aveu même de l’artiste, auteur de la peinture, confirma qu’elle avait été exécutée de main d’homme et non par l’effet d’un miracle. »
Ce qui est certain, du reste, c’est que les chanoines de Lirey n’ont jamais, en aucune occasion, invoqué l’authenticité du suaire et de l’image. Ce qu’ils veulent, c’est le droit de la représentation solennelle ; et, pour le reste, ils se contentent de laisser croire le peuple.
Après la bulle de Clément VII, l’éclat de la relique pâlit et s’éteint. Vingt-huit années se passent. Des bandes de pillards désolent alors le pays. Effrayés, les chanoines confient au comte Humbert, petit-fils du donateur, le trésor de leur église. Ils le réclament vingt-cinq ans plus tard par la voie légale, parce que, le comte étant mort dans l’intervalle, sa veuve Marguerite allègue que le reçu de son mari ne la concerne pas et refuse de le leur rendre. Elle est assignée devant le Parlement de Dôle. Pour éviter les frais, on transige : Marguerite rend les objets, sauf le suaire qu’on lui permet de garder trois ans en échange d’une rente annuelle de douze francs. Après trois ans, nouveau refus. Nouveau procès. Ils se multiplièrent du reste dans la vie de cette singulière et audacieuse Marguerite de Charny. Les procès se suivent. Chaque fois, C’est une demande nouvelle de sursis avec des promesses qu’elle ne tient pas. Avant l’expiration du dernier délai, nous la voyons promener sa relique en Hainaut et en tirer de belles sommes d’argent. C’est même à ce moment que deux professeurs en théologie envoyés par Jean de Heinsberg, évêque de Liège, ému du bruit causé par le linceul, obligent Marguerite de Charny à leur montrer les trois bulles de Clément VII qu’elle porte sur elle avec un induit de Pierre de Luna, témoignant que le suaire n’est qu’une représentation. Le terme d’octobre 1449 est écoulé. Marguerite ne revient pas, naturellement. L’affaire vient devant le prévôt de Troyes, et, cette fois, la dame de Lirey trouve le moyen d’obtenir un dernier sursis en faisant verser une somme annuelle aux chanoines par son frère. Puis nous la retrouvons en Savoie, où elle cède au duc Louis 1er et à sa femme Anne de Lusignan le suaire des chanoines. Disons tout de suite que, menacée et condamnée enfin par l’official de Besançon, Marguerite de Charny meurt sans se soumettre.
Cent trente années s’écoulent. En 1578, saint Charles Borromée quitte Milan pour se rendre à pied jusqu’à Chambéry, devant l’image qui se trouve dans la Sainte Chapelle. Mais le duc et la duchesse (Emmanuel-Philibert et Marguerite de France), pour lui éviter la moitié du voyage, obtiennent de l’évêque de Maurienne, doyen de la Chapelle, d’envoyer à Turin, pour peu de temps, la relique ; ce qui a lieu. C’est en vain que le doyen la réclama ensuite ; jamais le duc ne voulut la faire reprendre, assurant qu’elle « ne serait pas en sûreté à Chambéry ». Et c’est ainsi que le suaire demeura à Turin jusqu’à nos jours.
Le suaire apparaît pour la première fois en 1353. Et ceci déjà est significatif. Personne, jusqu’à présent, n’a pu en trouver trace avant cette date, pour le motif plausible qu’il fut fabriqué à cette époque. Il est difficile, en effet, à notre raison de comprendre comment, au moyen âge, un objet sacré d’une telle valeur pouvait avoir passé inaperçu, quand, au IVème siècle, nous trouvons un si grand nombre de « vraies » croix, et que sainte Hélène n’élève pas moins de trois chapelles pour célébrer celle qu’on découvrit pour elle à son arrivée à Jérusalem.
Grâce aux intéressants travaux de deux savants chanoines, l’abbé Lanore et l’abbé Ulysse Chevalier, ce dernier, correspondant de l’Institut, ne consacra pas moins de trois ouvrages, lumineusement précis et documentés, à l’étude des dossiers du suaire de Turin, nous pouvons suivre les aventures de la relique depuis son apparition jusqu’à ce jour, et cela, chose rare, sans arrêt ni lacune.
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