Joe Chip Joe Chip 3 mars 2021 00:45

@maQiavel

Les personnes qui, aux USA, dénoncent la situation de la liberté d’expression dans certains campus sont loin de toutes appartenir à la droite conservatrice ou de s’inscrire dans les thématiques de cette dernière (notamment dans la dénonciation du "marxisme culturel" qui est plutôt l’apanage de la droite libertarienne).
A vrai dire, la plupart sont aujourd’hui de gauche, du moins parmi celles qui s’expriment dans les médias. Il y a une double inquiétude sur la partition identitaire de la société (même aux USA) et sur le dévoiement des luttes progressistes et sociales au profit d’une lecture exclusivement ou prioritairement raciale ou genrée de la société. 
Une histoire a mis récemment en perspective ces inquiétudes, quand un concierge et un agent d’entretien ont été immédiatement mis à pied après avoir été accusés de racisme par une étudiante noire d’un campus féminin élitiste à 78000$ de frais de scolarité annuels. Un simple quiproquo avait été interprété par cette dernière comme un acte discriminatoire remettant en cause sa présence dans l’établissement. En gros, elle mangeait dans un espace réservé aux femmes et avait été confondue de loin avec un homme par le concierge vieillissant, qui avait demandé à l’agent d’entretien de lui faire quitter les lieux. Arrivé sur place, l’agent d’entretien comprit aussitôt la méprise et s’excusa auprès de la jeune femme.
On n’a même pas voulu les entendre avant que l’accusation ne se dégonfle et que l’administration ne soit contrainte de les réintégrer, sans un mot d’excuse, mais non sans que leur réputation ait été détruite.
Cet argument du détournement des luttes sociales n’est certes pas neuf, dans une certaine définition orthodoxe de la gauche, mais il a été ravivé ces dernières années aux USA, notamment au sein de la gauche socialiste mais aussi par des sociologues qui voient les taux d’illettrisme et de consommation de drogues exploser dans le prolétariat jeune et blanc, bien plus que dans les autres catégories ethniques. Or, une analyse intersectionnelle bornée finira toujours par conclure que ce petit blanc illettré n’a pas subi d’oppression "systémique" et est par conséquent moins à plaindre, par exemple, qu’une femme noire travaillant comme secrétaire dans une société dont les postes de direction seraient majoritairement occupés par des hommes blancs. Les plus cyniques ou blasés diront même qu’il a mérité son sort (car ces "woke" sont aussi des fondamentalistes de la méritocratie, croyant que toute position dans la société ne peut être qu’héritée à défaut d’avoir été méritée) ou qu’il a fait mauvais usage de son privilège blanc et ne mérite donc aucune compassion ni même un regard objectif ou neutre sur sa situation. Pourtant le fait que des "petits blancs", comme on appelle désormais tous les blancs pauvres, y-compris en France, se retrouvent dans cette situation démontre assurément le rôle essentiel joué par l’environnement dans le destin social d’une personne. Les antiracistes sincères devraient donc se saisir de cette réalité pour proposer une vraie "déconstruction" des stéréotypes raciaux. D’autres, aux USA mais aussi en Angleterre, ont même proposer de cibler cette population pauvre, blanche, souvent rurale ou périurbaine, par une politique éducative déterminée, un peu comme cela avait été fait dans les ghettos noirs. Evidemment, ces propositions ont aussitôt été taxées de racisme. 

Donc, plus que de l’extrémisme, c’est une forme de mauvaise foi ou de double langage qui est reprochée à cette gauche identitaire, qui d’un côté prétend déconstruire les identités, tout en les essentialisant de l’autre à des fins politiques.

Je n’ai pas examiné les statistiques à ce sujet, mais si on devait se borner à l’étude des statistiques officielles, alors il faudrait par exemple conclure qu’il n’existe en France aucun climat "anti-musulman" puisque les agressions quantifiées contre les musulmans sont en recul global depuis plusieurs années, au point que certaines officines islamistes ont tenté de monter des affaires d’islamophobie de toute pièce, ou inventé des faux témoignages de musulmanes pour la presse anglo-saxonne (j’ai par exemple appris dans le new york times qu’en France les femmes voilées n’avaient pas le droit d’aller à l’école et subissaient quotidiennement des lynchages). 
L’étude que tu cites ne semble d’ailleurs pas prendre en compte l’auto-censure, qui est comme tout le monde le sait le principal mode de censure dans les milieux où certaines opinions peuvent valoir l’opprobre ou un licenciement à ceux qui les profèrent. Or, il est par définition impossible de quantifier ou de qualifier cette auto-censure, qui se traduit le plus souvent par des adaptations ou des renoncements subtils que le sujet ne ressentira même pas comme une forme de contrainte (puisqu’elle est intériorisée et assimilée à travers le comportement).

Le phénomène, en tout cas, est bien réel, et assez symétrique de l’identitarisation de la droite. Les identitaires de droite sont plus dangereux car ils sont moins éduqués et en règle générale plus pauvres que les identitaires de gauche qui peuvent sévir dans leur bulle cognitive. Il y a aussi une dimension sectaire assez spécifique à la droite américaine dans ces milieux où l’on confond Jésus et Donald Trump dans un joyeux bordel millénariste.
Le problème c’est que cette bulle est visiblement devenue dominante et assez exclusive dans certains domaines (sciences humaines essentiellement, mais pas que).


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