« Un
homme pourra bien s’emparer des fruits qu’un autre a cueillis, du gibier qu’il a
tué, de l’antre qui lui servait l’asile ; mais comment viendra-t-il jamais à
bout de s’en faire obéir, et quelles pourront être les chaînes de la dépendance
parmi des hommes qui ne possèdent rien ? Si l’on me chasse d’un arbre, j’en
suis quitte pour aller à un autre ; si l’on me tourmente dans un lieu, qui
m’empêchera de passer ailleurs ? Se trouve-t-il un homme d’une force assez
supérieure à la mienne, et, de plus, assez dépravé, assez paresseux, et
assez féroce pour me contraindre à pourvoir à sa subsistance pendant qu’il
demeure oisif ? Il faut qu’il se résolve à ne pas me perdre de vue un seul
instant, à me tenir lié avec un très grand soin durant son sommeil, de peur que
je ne m’échappe ou que je ne le tue : c’est-à-dire qu’il est obligé de s’exposer
volontairement à une peine beaucoup plus grande que celle qu’il veut éviter, et
que celle qu’il me donne à moi-même. Après tout cela, sa vigilance se
relâche-t-elle un moment ? Un bruit imprévu lui fait-il détourner la tête ? Je
fais vingt pas dans la forêt, mes fers sont brisés, et il ne me revoit de sa
vie.
Sans prolonger inutilement ces détails, chacun doit voir que, les liens de la
servitude n’étant formés que de la dépendance mutuelle des hommes et des
besoins réciproques qui les unissent, il est impossible d’asservir un homme
sans l’avoir mis auparavant dans le cas de ne pouvoir se passer d’un autre
». Rousseau, Discours sur les origines et les fondements des inégalités parmi
les hommes.
Un propos qui montre bien que l’esclavage a un coût et qu’il ne peut donc pas émerger dans toutes les sociétés à n’importe quelle époque contrairement à ce que prétend l’ affirmation répétée ad nauseam selon laquelle « l’esclavage est aussi vieux que l’humanité ». Non il faut des circonstances sociales spécifiques pour qu’il puisse émerger.
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