Joe Chip Joe Chip 7 juillet 2020 21:28

@yoananda2

Le sentiment d’inégalité a à voir avec l’amour-propre, c’est à dire avec la conscience que j’ai de ma propre valeur et de ma propre dignité en me comparant aux autres. Si je mange des pâtes chaque jour et que mon voisin se prélasse toute la journée autour d’une piscine entourée de filles superbes en me souriant à travers la clôture, au bout d’un moment je vais arrêter de me dire que c’est un winner qui a mérité de se vautrer comme un porc satisfait dans le luxe, je vais juste sentir cet écart de richesse comme une agression ou une humiliation symbolique nuisant à mon bien être, et si je suis vraiment vénère je vais franchir la clôture pour lui défoncer sa tronche de nanti. 
A l’inverse, si je mange correctement mais que je sais que mon voisin viré de sa boîte pour cause de délocalisation a du mal à nourrir ses gosses, au bout d’un moment je vais arrêter de me dire que c’est un inadapté de la mondialisation et avoir mauvaise conscience en songeant à mon propre bien-être.

Il me semble qu’une partie de ton analyse et de tes conclusions est liée à ta vision disons singulière de l’anthropologie et de la nature humaine. Pour toi chaque être humain est un peu comme une île séparée moralement des autres et dont le sort ne devrait pas nous intéresser d’un point de vue collectif et intersubjectif... mais comme le disait le poète :

Aucun homme n’est une île, complet en soi-même ; chaque être humain est une partie du continent, une partie du tout.

Dans une démocratie, il y a égalisation des conditions, c’est comme ça, c’est lié au mode de production et de consommation des biens, ça a des aspects positifs et négatifs mais les gens supportent mal de voir à côté d’eux le spectacle de la richesse ostentatoire comme celui de la misère. Une partie du problème est réglée en laissant les gens vivre et se rassembler en fonction de leur niveau de revenus. De cette façon, le riche comme le pauvre peuvent vivre dans l’illusion que le monde autour d’eux est cohérent et justifié. Les autres sont alors mes semblables et je n’ai plus besoin de me comparer à eux puisqu’ils ont accès à autant de bienfaits que moi ou sont autant dans la mouise que moi, donc je n’ai pas de raison objective de me sentir avantagé ou floué par rapport à eux.
Une autre partie du problème est solutionné grâce à la sensibilité cosmopolite au sens où Rousseau le définissait, c’est à dire dire la faculté à se désintéresser du sort de son voisin pour compatir de manière plus abstraite aux malheurs du monde ou de la condition humaine :

Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres des devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins.

Ainsi le riche peut échapper au sentiment de culpabilité en vivant dans des quartiers réservés ("ségrégés" comme on dit maintenant) et en finançant des oeuvres caritatives ou humanitaires, et ainsi préserver son amour-propre. 

Pour le smicard, c’est plus délicat d’échapper à l’envie et à la frustration car non seulement tout le monde gagne plus que lui mais en plus il doit subir en permanence les injonctions à consommer. Et bien évidemment, se comparer à l’africain qui a 50 fois moins n’est alors d’aucun recours.
Reste alors l’isolement volontaire à travers les addictions, la dépression ou la réclusion. 

Donc voilà c’est pour toutes ces raisons, autant pratiques que psychologiques, que la plupart des gens vivant dans un contexte démocratique s’accordent à penser qu’il est raisonnable d’avoir pour objectif de limiter les inégalités afin d’éviter les problèmes engendrés par les inégalités objectives et ceux induits par le sentiment d’inégalité (lié à l’amour-propre).
Autrement, comme le disait MaQiavel, la vie en société devient impossible.


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe