Joe Chip Joe Chip 25 mai 2020 03:26

@yoananda2

Quitte à faire de la psy de comptoir, voici mon hyppothèse : Soral à peut être reculé (inconsciemment) devant le succès, il n’a pas voulu trop grossir de peur de déclencher la révolution qu’il appelle de ses voeux, mais que peut-être il redoute (après tout, c’est un sacré poids).

C’est clairement une des clés pour comprendre le personnage. A chaque fois que Soral aurait pu franchir un palier médiatique ou politique, il a "merdé" ou "dérapé", plus ou moins consciemment, et a fini par se dérober en commettant un acte manqué. Il y a un côté velléitaire chez lui, de rejet de toute attente de conformité, qui est aussi quelque chose de propre à sa génération (Nabe, Moix, Taddéi, Beigbedder, Houellebecq...) de touche-à-tout littéraires et mondains. Beigbeder avait donné une interview assez lucide à ce sujet il y a quelques temps, expliquant que sa génération était la première à avoir intégré l’échec des grandes utopies et avait donc basculé durant les années 80 dans le cynisme, la provoc’ et la surenchère esthétique, faute de pouvoir accomplir leurs ambitions politiques, artistiques et littéraire (exception faite de Houellebecq mais ce fut de peu car il a connu un succès relativement tardif). Regardez Nabe aujourd’hui... le type a tout du vieil ado aigri cramponné à son statut d’écrivain dont tout le monde se fout à l’heure actuelle.
Disons que la séduction exercée par Soral, qui semblait avoir fait mille choses et
avoir tout compris, a bien marché au début des années 2000 sur de jeunes esprits qui avaient déjà de grosses lacunes en terme de culture historique et politique par rapport aux générations précédentes. Le récit de la bohème parisienne, friquée et décadente des années 70 et 80 exerçait une certaine fascination sur cette génération qui n’avait entendu parler depuis les années 80 que de sida, de crise économique et de chômage de masse. Aujourd’hui, évidemment, cela ne marche plus du tout puisque les jeunes n’ont plus aucun lien avec cette époque 
et nourrissent plutôt du mépris à l’encontre de cette "bohème" prétentieuse et 
désoeuvrée incapable de faire du fric.
Leur bagage culturel nous impressionnait dans la mesure où ils semblaient à la fois maîtrisé la culture classique (grands auteurs, philo, socio, marx...) et la culture de bric et de broc, pop et rock issue de la société de consommation et de l’américanisation des modes de vie et de pensée. On était trop cons et trop naïfs pour comprendre que tous ces "polémistes" étaient déjà des types nés trop tard et qui n’avaient pas réussi à percer dans la politique, la culture, la littérature, et qui s’étaient pour les plus chanceux ou les plus travailleurs recyclés comme chroniqueurs ou pigistes chez Ardisson. Ces Nabe, ces Soral ont passé toutes les années 80 et 90 à récupérer les miettes sous la table du monde culturo-mondain, à en profiter sans jamais vraiment être accepté à la table, à cracher de dépit dans la soupe médiatique.Il est donc facile de comprendre leur ressentiment et leur haine de "ratés" envers les soixante-huitards qui dirigeaient tout, contrôlaient tout, après avoir trahi tous leurs idéaux de jeunesse. 
Pour ma part j’avais beaucoup aimé les abécédaires de Soral et son livre sur la féminisation (par rapport à ce que je connaissais à l’époque, c’est à dire pas grand-chose). Mais surtout son Misère du Désir, qui est à mon avis un vrai petit chef d’oeuvre de sociologie populaire, plein de drôlerie (la rencontre avec Despentes, la déclaration d’amour à Poupeto...) et qui réglait son compte à la gauche qui était encore idéologiquement dominatrice à l’époque, en décrivant parfaitement la manipulation des affects des jeunes de banlieue par les élites antiracistes et en donnant une explication peut-être pas foncièrement nouvelle mais accessible et concrète de la relation entre idéologie du désir et marché. Il avait d’ailleurs été désavoué dans l’Huma par Michel Clouscard qui avait apparemment pris peur après avoir reçu un coup de fil de son éditeur.
J’ai nourri par la suite un tel rejet des idées de Soral que je me suis demandé pourquoi j’y avais adhéré auparavant, et je me suis rassuré en constatant que j’étais toujours d’accord dans les grandes lignes avec ce qu’il écrivait au début des années 2000 dans les abécédaires. Mais bon, des mauvaises langues (Blanrue) ont insinué que les éloges de Soral à la devise républicaine et à la "fraternité" visaient surtout à l’époque à accompagner ses efforts afin d’intégrer une loge maçonnique, ce qui me semble tout à fait crédible. Se rappeler aussi les phrases de Nabe évoquant un Soral catastrophé après son dérapage sur les juifs à Envoyé Spécial, réalisant
qu’il venait de se fermer toutes les portes du monde culturel et médiatique avec cette sortie polémique.


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