Joe Chip Joe Chip 26 mars 2020 16:38

@Jean Robin contre Fantômette

Donc quand tu dis que la France peut produire tout ce dont elle a besoin et que je parle d’autarcie, je déforme tes propos, mais quand je parle de possibilité d’un raidissement de la politique économique et sociale du gouvernement et de dérives liberticides tirant prétexte d’un confinement général dont on commence déjà d’ailleurs à voir les effets, et qui pourraient devenir durables, alors qu’elles auraient pu être évitées par des mesures adéquates et prises à temps, je ne suis pas convaincant.

Je suis d’autant plus à l’aise à le dire que je n’ai jamais été anti-macron et qu’il m’est même arrivé souvent de le défendre sur le plan de la politique étrangère ou face à des partisans inconditionnels des gilets jaunes. J’ai toujours trouvé ridicule et contre-production l’obsession autour de sa personne.

Je ne crois pas qu’il soit utile d’entrer dans un dialogue de sourds, donc ce n’est pas la peine de répéter à chaque fois la même chose sans apporter de contre-arguments convaincants, contredire n’étant pas démontrer... je crois avoir apporté toute une série d’arguments et d’observations sourcées rendant ce scénario plausible et crédible, mais comme tu n’as aucune intention d’être convaincu, j’estime que je n’ai pas à faire de mon côté plus plus d’effort que ça pour te convaincre que ce scénario a des chances de se produire (et à mon avis a déjà commencé à se matérialiser). Je ne suis d’ailleurs pas le seul à avoir remarqué l’inflexion à la fois droitière et libérale du pouvoir. L’européiste Quatremer s’en alarme sur son compte twitter, tout comme le syndicat de la magistrature qui s’inquiète à juste titre de l’ampleur et de la réversibilité de l’état d’exception :

http://www.syndicat-magistrature.org/IMG/pdf/note_e_tat_d_urgence_sanitaire.pdf

Mediapart utilise la formule "nationalisme du désastre" que je trouve assez appropriée pour décrire la tonalité du gouvernement. Même ER se réjouit tout en s’en moquant d’un retour aux recettes "éprouvées" du pétainisme.

Certes, on peut se tromper à plusieurs mais quand des gens aussi idéologiquement divers commencent à distinguer la même évolution, il y a de fortes chances que celle-ci soit effectivement en train de se produire.

Le mot néo-nationalisme renvoie à un pseduo-nationalisme ou si tu préfères à un ersatz de nationalisme passant par des métaphores guerrières et des appels tragiques à "l’unité nationale" qui sont en réalité des injonctions contradictoires caractéristiques du macronisme. J’en veux encore pour preuve le ministre de l’agriculture, proche de la FNSEA, qui appelait encore ce matin les Français "inactifs" (chômeurs, travailleurs manuels, précaires, etc.), dans une rhétorique rappelant les débuts de la Révolution, à être "agile et mobile", formule à la fois paradoxale et étonnante au moment où l’on appelle le reste de la population (et en particulier les cadres tertiaires et les parisiens autorisés à aller se réfugier dans leur résidence secondaire) à se confiner chez soi et ne sortir sous aucun prétexte. 

Qui exalte habituellement l’adaptabilité et la mobilité et pourquoi avoir recours à cette rhétorique néolibérale en temps de crise épidémique ?

Il a également refusé toute politique d’encadrement des prix des produits frais et de première nécessité en rappelant que nous étions dans un "marché libre" et tout en justifiant les dérogations actuelles prises sur le droit et le code du travail au nom de l’impératif supérieur de "nourrir la nation", le tout noyé dans les éléments de langage guerriers du gouvernement ("lignes de défense").

Je suis désolé mais je n’ai rien vu de tel se produire dans des pays comme la Corée ou Taïwan, ni même en Allemagne, où les autorités n’ont pas eu recours à cette rhétorique martiale et apocalyptique. A ma connaissance on est le seul pays où les autorités ont évoqué des ruptures d’approvisionnement alors qu’elles ne font que défendre des grosses exploitations agricoles capitalistes privées de leur main d’oeuvre au rabais, voilà la réalité. 

Quand on rétablit des frontières en déployant un libéralisme interne associé à des mesures d’exceptions juridiques sans y fixer aucune limite dans le temps, on créé de facto les conditions d’un "néo-nationalisme libéral" qui ne vise en réalité qu’à sauver quelques gros producteurs (les petits exploitants eux devant se démerder).

Tout cela justifié en direct par un ex-soixante-huitard comme Jean Viard qui lui aussi ce matin à la radio faisait l’apologie du retour de l’autorité, de l’ordre et de la "fin de l’individualisme". Pour montrer toute l’hypocrisie de ce genre de personnage, il a pris la précaution de confesser n’avoir jamais fait son service militaire ("c’était une autre époque").

S’il y a bien quelques chose qui m’insupporte en plus des délateurs, ce sont les culs retournés de la dernière minute. Nous voilà avec une horde de vieux soixante-huitards et de "boomers" angoissés par les temps présents, et qui demandent donc à Macron de durcir sa politique et d’utiliser la crise pour procéder à un serrage de vis national visant à protéger les intérêts directs de la bourgeoisie durant les périodes de crise (grand classique de l’histoire de France). 

La vérité est qu’il n’y a aucune armée ennemie sur le territoire, ils sont simplement en train de chercher à exacerber des peurs archaïques en face d’une menace qui n’est pas imaginaire mais simplement invisible, et qu’on pourrait donc tout à fait "combattre" par des moyens plus légitimes et moins liberticides.

Sans parler du caractère classiste de cette politique : aux uns la sueur, les risques, la production, aux autres le télé-travail, la retraite paisible et la protection. Un premier signe positif d’ailleurs aurait été d’annoncer d’emblée des augmentations de salaire pour "l’armée de l’ombre" et la "deuxième ligne", si besoin financée par un impôt de crise (tiens, là tout le monde serait soudainement moins d’accord !).

Voilà donc pour la collusion entre le "néo-national" et l’aspect "libéral" .

Pour le reste tu m’attribues des propos que je ne peux pas cautionner. Le nationalisme n’a rien à voir avec la "réappropriation par l’Etat de ses moyens et du peuple français de sa souveraineté", d’ailleurs j’aimerais bien savoir en quoi nous sommes plus souverains depuis que nous sommes confinés à domicile et privés de certaines de nos libertés fondamentales, c’est prodigieux cette histoire.

Quelles entreprises ont-elles été nationalisées ? Quels moyens ont-ils été réappropriés par l’Etat, quand bien même cela serait la solution ? L’Etat n’arrive même pas à approvisionner les hôpitaux en masques et en gel et il se refuse à décider l’encadrement des prix des produits de première nécessite, ce qui auraient été les premières mesures à prendre dans le cadre d’un état d’urgence national, au lieu de dire aux gens d’aller à la moisson.

Tu as le droit de t’enthousiasmer pour ces "quelques jours de répit pour la terre" et de croire que nous sommes aux débuts d’une ère économique nouvelle où Macron va se réinventer en dirigeant national "unioniste" et rendre le pays à sa vocation agricole, pour ma part, je suis convaincu qu’il ne s’agit que d’un avatar de temps de crise et d’une illusion d’optique qui masque un réalignement "national" et une évolution autoritaire du néolibéralisme, une sorte de révolution au sens premier du terme puisque les premiers laboratoires des théoriciens néolibéraux furent des régimes autoritaires.

Je peux me tromper, je l’espère d’ailleurs, mais je crois que beaucoup de gens fatigués ou énervés sont en train de simplement prendre leurs désirs pour des réalités.


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