Joe Chip Joe Chip 12 mars 2020 13:45

@yoananda2

oui, je dirais pour ma part en synthèse : le néolibéralisme c’est l’efficacité au prix de l’anti-fragilité.

Encore une fois tu détournes un discours pour amener tes "synthèses" qui n’ont aucun rapport avec le sujet. "L’anti-fragilité" ? Qu’est-ce que c’est que ça ? Je parle sérieusement là, pas la peine de la ramener avec ces concepts de droitards du web et d’ados attardés du 18-25. 

Non, c’est le contraire, c’est un culte de l’efficience qui débouche sur de l’inefficacité pratique et des surcoûts liés au fait que l’Etat doit régulièrement mettre la main à la poche pour compenser les déséquilibres engendrés par ce système, comme on l’a vu en 2008 et comme on va le voir à l’occasion de cette crise. Nul doute que les néolibéraux dogmatiques viendront encore une fois expliquer que c’est la faute des Etats, du capitalisme dévoyé et autres billevesées pour détourner l’attention des autorités et du public et tendre leur sébile à la collectivité.

Il y a un truc qui m’étonne toujours chez les personnes comme toi (pas toi en particulier, les gens qui estiment que tout système de santé collectivisé ne peut qu’entretenir des "fragiles") c’est votre inculture historique par rapport à la création et à la raison d’être de la sécurité sociale.

Le système de soin universel et gratuit n’a pas été mis en place par de généreux collectivistes mais par des bourgeois qui s’alarmaient de la santé déplorable de la population en générale et en particulier des classes prolétaires, craignant des paralysies du système productif et même des révolutions politiques. 

Il y avait en gros deux camps, ceux qui préconisaient, dans la la droite lignée des idées social-darwinistes qui avaient le vent en poupe à cette époque, de laisser-faire les choses et la "nature" telle qu’ils se la représentaient, c’est à dire un couperet permettant de trier le bon grain de l’ivraie, de séparer les sains et les débiles, les forts et les faibles. Les plus extrémistes d’entre eux proposaient même de réserver les soins aux gens qui étaient naturellement les plus forts et les plus résistants, et d’éliminer les "dégénérés" (il faut comprendre ici ce mot au sens large : les faibles sur le plan physique, intellectuel ou économique).
Face à eux s’est structuré un camp réunissant la bourgeoisie "éclairée" et les socialistes qui avaient tourné le dos aux idées révolutionnaires et accepter de jouer le jeu de la démocratie libérale : en résumé, l’embryon de ce qu’on appelle aujourd’hui la sociale-démocratie. De leur point de vue, l’hygiène public était un sujet fondamental. Loin d’avoir pour objectif d’entretenir des débiles biologiques et des "dégénérés", ils voulaient mettre en place une offre de soin universelle pour diffuser l’hygiène au sein des classes populaires, réguler les épidémies et "améliorer la race" comme on disait à l’époque (la "race" désignant ici la population d’un pays au sens large et non-sociologique). 
Les aristocraties décadentes et oisives du XIXème siècle ne géraient pas des usines, par conséquent ils pouvaient adhérer sans réserve au social-darwinisme qui leur permettait de s’abandonner à leurs rêveries eugénistes de fin de race, mais les bourgeois, eux, n’avaient pas ce luxe ; ils devaient impérativement générer du profit avec leurs usines et leurs affaires. Par conséquent ils avaient besoin que la main d’oeuvre soit en bonne santé, et que les ouvriers soient eux-même en mesure de nourrir correctement leur famille, de pouvoir soigner leurs enfants et leur donner une éducation minimale afin qu’ils arrivent bien dressé à l’usine et répondent "Merci Monsieur" et inclinent respectueusement la tête lors d’une visite du patron.
 Ce sont ces bourgeois qui ont inventé la sécurité sociale universelle et gratuite, et ils ne l’ont pas fait pour le confort de la population mais pour leur intérêt bien compris. Leur but aussi, moins avoué, était de mettre fin à la charité chrétienne qui pesait souvent sur la bourgeoisie (bonnes oeuvres, dames patronnesses, financement de cantines et soupes populaires pour donner une bonne image, etc.) en déplaçant cette charge vers l’Etat et la société dans son ensemble alors qu’on mettait parallèlement en place les premiers système d’imposition universelle (tout est lié).
Et tout cela, précision importante, ne se déroule pas dans la France républicaine où règne alors sans partage le "marche ou crève" généralisé dans les usines et les campagnes, mais dans les pays scandinaves et germaniques.

Les premières politiques eugénistes ont d’ailleurs été mises en place dans le cadre de ce système de soin collectif, et ont perduré dans les sociales-démocraties protestantes jusque dans les années 70 :

https://www.liberation.fr/planete/1997/08/26/suede-l-eugenisme-des-sociaux-democrates_212470

Malheureusement, les néolibéraux et les conservateurs américains ont réussi à implanter une représentation fausse, à savoir que la sécurité sociale serait essentiellement une invention "sociale" mise en place par des communistes doctrinaires qui ont conduit les sociétés européennes à la banque-route généralisée. Or, rien n’est plus faux. Lénine était vent debout contre la sécurité sociale telle qu’elle était pratiquée dans les démocraties occidentales, il considérait cette assistance publique comme une forme particulièrement perverse de charité bourgeoise sécularisée visant à maintenir le prolétariat sous la dépendance des capitalistes et des propriétaires, ce en quoi il n’avait pas tout à fait tort, puisqu’il y avait bien une intention utilitariste comme je viens de le rappeler.
Historiquement, les régimes communistes ont toujours été très rétifs à déployer un système de sécurité sociale universel. A la place, ils ont développé un système de soin classiste qui ressemble étrangement aux systèmes hybrides public/privé mis en place par le néolibéralisme triomphant :
 pour les pauvres, un système universel et gratuit fournissant l’accès à un système de soin de base, limité et inefficace
— pour les cadres intermédiaires du régime et la petite bourgeoisie, un système semi-universel et en fait semi-privatisé fournissant une offre plus étoffée en échange de bakchich et de corruption
— pour les hauts-fonctionnaires du régime et la bourgeoisie en contact avec l’étranger, un système de soin gratuit et discrétionnaire, donnant accès au meilleur matériel (importé des pays occidentaux) et aux meilleurs spécialistes.

Donc en gros c’est une erreur conceptuelle de penser que la sécu universelle et gratuite est le produit d’une mentalité collectiviste et communiste, c’est au contraire une invention de la sociale-démocratie européenne et du vrai libéralisme.
Au contraire, le système de soin hybride mêlant pseudo-gratuité et caisse privée se rapproche dans les faits du système de soin tel qu’il existait dans l’URSS et les républiques soviétiques.


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