Daruma 25 février 2020 12:13

@yoananda2

Merci à toi aussi de m’avoir obligé à clarifier ma pensée, à expliciter ce que je pensais jusqu’alors de manière intuitive.

Avant de parler du libre-arbitre, deux remarques :

D’abord, se méfier de la raison raisonneuse, de la raison qui s’écoute parler, qui se regarde raisonner, qui se trouve très belle dans le miroir... L’intellectualisme est un usage immodéré de la raison : celle-ci ne touche plus terre et se croit toute-puissante, ignorant son propre dogmatisme comme un média mainstream qui se croit sans idéologie. Pas besoin de Kant pour comprendre ça.

Seconde remarque, qui est le corollaire de ce qui précède : l’érudition n’est pas la connaissance, la connaissance livresque n’est pas prépondérante, d’ailleurs les plus grands maîtres n’ont rien écrit. Un simple paysan ou un simple bûcheron peut, par son contact avec la nature joint à un tempérament inné qui le porte à la contemplation, avoir une sagesse bien plus profonde que Saint-Augustin, qui était tributaire du contexte intellectuel de son époque et lié par la nécessité de défendre un dogme dominant. La notoriété d’un personnage ne doit pas nous égarer. Il ne faut idolâtrer personne ni déifier la science. On ne va pas faire comme au temps de la scolastique, en concluant l’argumentation par un « Aristoteles dixit » ! smiley

Au sujet du libre-arbitre. Je t’avoue, et n’y vois rien de personnel, que je suis fatigué par le scientisme rationaliste et matérialiste. Il est sur le point d’être dépassé, notamment grâce à la physique quantique. Et comme dans tous les changements majeurs de paradigme, il se heurte à une forte résistance. À en croire Thomas Kuhn, cette résistance est bon signe.

Deux tendances s’opposent, mais elles sont les deux faces d’une même pièce : d’un côté le déterminisme myope et jusqu’au-boutiste qui ignore la conscience, le « je », l’observateur ; de l’autre la croyance populaire de ceux qui s’imaginent que la liberté est l’absence de contrainte.

Il y a, selon moi, deux erreurs, qui empêchent de comprendre ou du moins de cerner le libre-arbitre :


 Le libre-arbitre est la négation du déterminisme, il est impossible et illusoire car cela équivaut à s’extraire de toute détermination, à être hors du monde et omniscient.


 Le libre-arbitre est chimiquement pur ou n’est pas : c’est la conséquence de ce qui précède ; on ne peut pas être plus ou moins libre, on est soit libre soit entièrement déterminé, soit libre soit esclave.

Le libre-arbitre ce n’est pas un calcul, c’est une guidance. La métaphore qui, à mes yeux, illustre bien ce qu’est le libre-arbitre, c’est la boussole, pas l’ordinateur. Appréhender le libre-arbitre avec comme critère la raison (choix rationnel) c’est comme mesurer la vitesse d’un coureur avec un thermomètre. La raison n’est qu’un outil qui permet d’offrir une palette de choix plus large et surtout des choix sensés. Elle est un conseiller – souvent un bon conseiller – qui peut faire peser la balance dans un sens plutôt qu’un autre. Mais ce n’est pas la raison qui décide. De même que ce n’est pas le désir, ni l’émotion ni même l’habitude. Pense aux choix quelquefois irrationnels du capitaine Kirk, choix que monsieur Spock ne comprend pas et n’approuve pas, mais qui se révèlent toujours justes. smiley On ne va pas chipoter en disant que c’est du cinéma, l’essentiel c’est que tu comprennes ce que je veux dire.

D’autre part, le libre-arbitre ce n’est pas tout ou rien, il y a une question de degré : un choix est d’autant plus libre qu’il est plus conscient. Se fier à la raison vaut mieux que se fier à l’émotion. De même, mettre plus de conscience dans son choix est supérieur à l’habitude, qui est mécanique, qui est l’état minimal de la conscience, et qui n’est donc pas un choix en tant que tel.

Qu’un choix prenne naissance dans le magma du subconscient avant de se frayer un chemin jusqu’à la conscience, ne remet pas en question la capacité de choisir parmi plusieurs scénarios possibles. Il y a un film qui pose bien ce problème du libre-arbitre, c’est "Minority report". La question que pose le héros, Anderton (joué par Tom Cruise) à Lamar, le directeur de Précrime, "Qu’allez-vous faire maintenant ?" montre que le choix qui va être fait n’est pas nécessairement le plus probable parmi les divers futurs possibles en concurrence, et qu’il n’est pas la simple résultante d’un déterminisme plus puissant que les autres. C’est qu’il y a autre chose que le simple déterminisme. Mais attention à ne pas céder à l’illusion rétrospective du vrai. En effet, l’erreur consisterait, après ce choix effectué, à croire, par une illusion rétrospective, que ce choix devait nécessairement se produire puisqu’il s’est produit et qu’il est pour ainsi dire "sorti vainqueur" des autres déterminismes avec lesquels il était en concurrence.

Il y a un physicien qui pose de manière nouvelle le problème du libre-arbitre, c’est Philippe Guillemant. C’est difficile, il faut s’accrocher, mais c’est fascinant. J’aime beaucoup sa manière d’expliquer le libre-arbitre avec la métaphore du GPS.

Une petite vidéo de vulgarisation pour s’initier à sa pensée : https://www.youtube.com/watch?v=VROmp7z38zs

Pour approfondir : https://www.youtube.com/watch?v=CSVmxrri2RY&t=330s

Sur le libre-arbitre en particulier : https://www.youtube.com/watch?v=P0xJ-vnnTR4&t=1817s

et celle-ci, plus didactique : https://www.youtube.com/watch?v=la_jVYZicpE&t=1298s


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