Joe Chip Joe Chip 8 juillet 2019 11:34

@Belenos

Sauf que De Benoist a passé trop de temps dans son bureau à conceptualiser une réalité politique à laquelle il était étranger, un peu comme un chroniqueur du Moyen-Age passant sa vie à relater les faits d’armes des seigneurs sans avoir jamais assisté à une bataille.

ll ne faut pas confondre la gauche et la droite en tant que clivage politique (qui a perdu beaucoup de sa signifiance, mais pas totalement) et la gauche et la droite en tant que marqueurs politiques, qui conservent une grande pertinence. Beaucoup de gens parmi la bourgeoisie adhèrent individuellement à une idéologie de droite conservatrice, tout en étant affilié politiquement au centre voire à la gauche. Beaucoup de gens de gauche s’identifient sans ambiguïté à une idéologie de gauche tout en ayant des comportements économiques et politiques assimilés à la droite.

Pourquoi ce décalage ? Parce que la sociologie derrière ces termes a évolué, ce qui ne veut pas du tout dire que ces termes sont de simples vestiges sémantiques d’un temps révolu. On peut très bien avoir des valeurs différentes dans sa vie personnelle et dans sa vie professionnelle ou civique, obéir à une morale individuelle qui n’est pas tout à fait conforme avec l’éthique à laquelle on adhère en tant que membre d’une société. C’est très fréquent  l’électorat macronien en étant la meilleure preuve  je serais même tenté de dire que c’est la norme. Les gens dont les comportements socio-politiques sont parfaitement compatibles et conformes avec les valeurs individuels sont clairement une minorité.
Michéa et De Benoist, par exemple, même s’ils sont aujourd’hui d’accord sur un grand nombre de sujets, n’ont pas du tout les mêmes valeurs personnelles. De Benoist est un intellectuel de droite misanthrope sur les bords qui a vécu en ermite toute sa vie, retiré volontairement de la vie mondaine et allergique à la vie militante (trait typique d’un esprit de droite). Michéa est un intellectuel de gauche qui a enseigné toute sa vie dans un lycée professionnel, aimant vivre au contact de la réalité sociale et cultivant des passions populaires comme le foot que De Benoist exècre.

D’ailleurs, ce n’est pas le moindre paradoxe des contempteurs du clivage gauche-droite que de continuer à passer leur temps à utiliser ces termes de façon caricaturale et à dénoncer obsessionnelllement des "gauchistes" tout en s’indignant dès lors que l’on traite un type de "droitard". 

Les obsédés de la fin du clivage gauche-droite font comme si on était encore à l’époque où le parti gaulliste et les communistes dominaient le paysage et où la société était structurée entre une classe prolétaire, une classe moyenne homogène et une classe bourgeoise, et voyant quand même que les choses ont changé, croient faire preuve d’originalité ou de nouveauté en déclarant le clivage gauche-droite comme obsolète. En fait ce sont eux qui sont en décalage historique, un peu comme des gens assis dans un train à l’arrêt qui croient soudain être en train de se déplacer en regardant un train arriver en gare. C’est la sociologie et la définition contextuelle et relative des termes qui a évolué, mais le clivage fondamental derrière ces termes est toujours en place, même si de "nouveaux clivages" sont venus s’y ajouter.

Les gens comme Le Pen qui déclament sur tous les tons depuis des années que le clivage gauche-droite est dépassé  le plus souvent pour des raisons électoralistes et pour ne pas avoir à répondre de contradictions politiques  ont contribué à amener l’électorat populaire dans une ornière à 25%, en laissant accroire par exemple que l’on pourrait facilement faire cohabiter la petite bourgeoisie réac et l’ancien électorat communiste/socialiste au sein d’un même parti.

S’il n’y avait plus de clivage gauche-droite, les choses seraient en fait très simples, on aurait déjà un parti des "inclus" faisant face au grand parti des "exclus", or on voit bien que les choses ne fonctionnent pas de cette manière dans la réalité et que cette union est difficilement envisageable sur le plan politique.


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