Joe Chip Joe Chip 28 septembre 2018 21:23

@Belenos

C’est toute la différence entre la déclaration de 1789 ("des droits de l’Homme ET du Citoyen", c’est à dire d’un membre d’une communauté de destin, ne fut-elle que politique) et l’universalisme abstrait et humanitaire de la déclaration de 1948 qui fait disparaître l’articulation entre la dimension individuelle et nationale et consacre la vision d’un homme qui n’est plus un citoyen (le mot n’apparaît pas) mais simplement un "homme" ou plutôt un "humain" qui est de partout et de nulle part, de tous les sexes sans en avoir, etc.... 

Pour moi il faut bien faire attention de ne pas confondre ce cosmopolitisme philosophique (d’inspiration clairement chrétienne s’agissant de la déclaration de 1948) qui implique l’idée que l’homme, pardon l’humain, est un étranger dans le monde, un déraciné fondamental qui peut se déplacer partout sur la terre avec dans son baluchon un certain nombre de droits dits inaliénables, avec l’universalisme républicain tel que les philosophes du droit l’ont défini en le rattachant toujours à une collectivité politique et réflexive (plutôt la société dans le modèle anglo-saxon, plutôt la nation dans le modèle français). Cet universalisme concret signifie tout simplement que les hommes doivent recevoir (ou se voir reconnaître) les mêmes droits et devoirs en tant que citoyens à raison qu’ils partagent tous la même condition. C’est pourquoi, pour caractériser correctement cet universalisme, il vaut mieux se référer directement à mon avis à la notion d’universalité (donc, au sens des droits de l’homme : qui concerne l’homme ou la nature humaine) et ne pas suivre l’aiguillage sémantique des connotations du mot "universel" (territoire universel, conscience universelle...) qui dévoient et dénaturent le concept. L’universel étend ; l’universalité implique. A priori, l’universalité des droits de l’Homme n’implique pas que les droits de l’homme sont universels, et encore moins qu’ils aient vocation à l’être, ce sont deux idées différentes bien que la racine sémantique soit la même. Il me paraît donc difficile de réfuter l’universalisme - y-compris au sens politique du terme - en extrapolant une contradiction à partir d’une ambiguïté sémantique.  

L’universalisme part par exemple du principe qu’il existe une universalité de la conscience chez l’homme qui correspond à un ensemble de signifiants, d’expériences et de caractères propres à tous les hommes au-delà de leurs différences sociales, géographiques, culturelles, raciales, linguistiques, etc. A contrario, l’idée d’une conscience universelle (religion) ou d’un "universel de la conscience" (déterminisme social ou cognitif) n’a rien à voir avec l’universalisme en tant que doctrine politique ou philosophique. L’universalisme n’est pas une idéologie qui a pour but de tout étendre à la dimension du monde en broyant les cultures ou en niant l’existence des communautés naturelles. Il me semble vraiment important ici de faire la différence entre le mondialisme, le cosmopolitisme (à l’origine de la notion de citoyen du monde) que je n’apprécie guère, même comme tournure d’esprit philosophique, et l’universalisme. 

De ce point de vue la déclaration de 1948 se "proclame" universelle au sens le plus étroit ou littéral du mot, qui semble ainsi s’opposer de manière abrupte à l’idée de frontières, de limites, de nations... le caractère universel - au sens géographique et extensif du terme - des droits de l’homme est considéré comme un attribut, une propriété quasiment métaphysique qui ne saurait être remise en question ni articuler à d’autres concepts : 

L’Assemblée générale proclame la présente Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les populations des Etats Membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction.

On comprend ici qu’il y a une véritable tautologie des droits de l’homme : les droits de l’homme étant définis comme "universels", ils doivent être universels, donc exportés par des "mesures d’ordre national et international", c’est à dire par la contrainte politique voire militaire comme on l’a vu, car ce texte gorgé de bons sentiments est bien la base idéologique des guerres "morales" conduites en Irak et ailleurs. C’est une définition "essentialiste" pour ne pas dire religieuse, des droits de l’homme

La déclaration de 1789, au contraire, repose sur une vision constructivistes des droits de l’homme. Elle revendique l’universalité et le caractère positif des concepts qu’elle énonce : les droits de l’homme, mais aussi la citoyenneté et - on l’oublie souvent - la souveraineté de la nation. La finalité de la "déclaration des droits de l’homme" est d’instruire l’homme sur sa place dans la société, ce qu’il est en droit d’attendre du corps politique, ce que le corps politique est en droit d’attendre de lui, de lui rendre légitime l’accomplissement d’un certain nombre de devoirs en même temps qu’il revendique des droits, et ce afin de garantir "le bonheur de tous". 

Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

La déclaration de 1948 renverse en réalité complètement le sens de la déclaration de 1789 en supprimant les concepts de citoyenneté et de souveraineté pour conserver uniquement les droits de l’Homme, désormais considérés dans l’absolu et comme absolus, fétichisés :

Article 2 :

1. Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.

2. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté.


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe