maQiavel maQiavel 20 juin 2018 19:15

@Sutter Kane

En effet, aucun principe ne doit être absolu, surtout lorsqu’on parle de liberté (un terme que je n’aime pas utiliser quand on parle de principe d’organisation car on le se confond souvent avec son sens métaphysique, je préfère généralement utiliser le terme de « droit »), la liberté sans limite c’est la loi du plus fort. 

Ce que vous dites est vrai, pour protéger l’ordre social, et assurer la survie même de la société, celle-ci doit limiter l’expression. La liberté d’expression « réelle » n’existe pas et n’existera probablement jamais tant que nous resterons des animaux sociaux. L’expression d’opinions sera toujours limitée par les normes sociales en vigueur, parce que les individus vont s’autocensurer ou parce que leur communauté d’appartenance fera pression sur eux. Toute communauté humaine a des normes et des interdits qu’elle aura tendance à conserver et l’individu qui va à leur encontre se mettrait la communauté à dos et serait traité  comme un pestiféré par les siens. Et heureusement il faut un minimum de mœurs communes et une dose de conformisme dans une société pour qu’elle ne plonge pas dans le chaos.

Une fois qu’on a dit cela, il y’a d’importantes nuances qui doivent être introduites et c’est sur ces nuances qu’il existe des divergences de perspectives assez radicales dans l’application du principe de la liberté d’expression.

- Il faut faire  la distinction entre la censure d’Etat et la censure au niveau interindividuel (dans laquelle on pourrait mettre aussi l’autocensure). Ces deux types de censures, quand bien même elles mèneraient à un résultat similaire n’impliquent pas du tout la même chose. Rousseau avait énoncé un très bon principe : « C’est à l’estime publique (opinion publique) à mettre la différence entre les méchants et les gens de bien. Le magistrat n’est juge que du droit rigoureux mais le peuple est le juge des mœurs ».

-La liberté totale n’existe pas mais le vrai débat consiste à déterminer quelles expressions devraient être interdites par la loi ? Quelles sont ces expressions que l’appareil d’Etat qui dispose du monopole légal de la violence devrait réprimer ? En ce qui me concerne , mon opinion est que les seules expressions qui entrent dans ce cadre sont l’incitation à la violence (on ne doit pas pouvoir invoquer le droit à l’expression lorsqu’on dit ou qu’on écrit « il faut exterminer les Bretons » par exemple) , la calomnie (on ne doit pas pouvoir, par exemple, invoquer son droit à l’expression quand on accuse publiquement son voisin d’être un pédophile sans l’aube d’un début de commencement de preuve, surtout s’il s’agit en réalité d’un mensonge fait dans la volonté de nuire à sa réputation) et les expressions qui atteignent à la vie privée ( la communication d’informations personnelles portant atteinte à l’intimité d’autrui comme la divulgation du dossier médical par exemple ). En dehors de ces cas très spécifiques, je considère que l’Etat n’a pas à intervenir, toute autre limite est liberticide de mon point de vue. Par contre des groupes de pressions peuvent appeler  l’opinion publique à marginaliser des individus ayant tenus certains propos qu’ils jugent très négativement, et si réellement ces propos vont à l’encontre des mœurs, des valeurs morales, philosophiques et idéologiques en vigueur dans la société, cette pression fonctionnera, tout va dépendre de l’état des rapports de force et de leur évolution au sein de cette société.

Pour donner un exemple concret la pédophilie est l’une des choses les plus ignobles qu’il soit à mes yeux, pas seulement pour des raisons morales et philosophiques mais aussi parce que durant mon enfance j’ai connu dans ma classe en primaire une fille qui avait vécu un abus sexuel sur la route de l’école et ça avait particulièrement marqué mon esprit d’enfant. Il y’a peu de choses que je trouve aussi détestables.

Et pourtant, si un écrivain faisait dans ses textes l’apologie de la pédophilie (sans pour autant inciter explicitement ses lecteurs à pratiquer la pédophilie), je serais contre la censure étatique de cet écrivain. Ce dernier exprimerait une opinion que je jugerais ignoble, néanmoins, je considérerai que ce n’est pas à l’Etat d’intervenir pour le faire taire , à la police de l’arrêter et à un juge de le condamner.  Par contre, je serais en faveur d’une campagne médiatique pour informer l’opinion publique du contenu de ce livre, pour expliquer par un raisonnement rigoureux et précis en quoi ce livre pose problème et pour que des pressions sociales soient exercés contre cet écrivain, contre son éditeur, contre les responsables commerciaux des lieux dans lequel ce bouquin serait vendu , en espérant que le résultat serait que personne ne veuille cautionner ce livre , que le bouquin soit marginalisé , que plus personne n’accepte d’acheter , de vendre et de le diffuser , que l’ écrivain renonce de lui-même à faire l’apologie de cette pratique sexuelle illégale et abjecte à l’avenir. 

C’est la différence entre la censure étatique et interindividuelle. L’une est extrêmement dangereuse pour les droits fondamentaux, les libertés individuelles et l’Etat de droit, l’autre relève du cours normal de la vie en société, de ses valeurs et de l’ordre moral public …


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