Joe Chip Joe Chip 8 septembre 2017 10:51

@Ar zen

C’est exactement ça. Les Allemands ont laissé aux Français le leadership diplomatico-verbal et l’imaginaire lyrique (ah, la fameuse "Europe sociale" qui a pris la suite de "l’Europe-puissance" !) pour se concentrer sur l’économie, le seul outil de puissance qui leur restait. Mitterrand, par peur de voir une Allemagne réunifiée renouer avec ses ambitions hégémoniques continentales ou dériver vers l’Est, a cédé sur l’euro, laissant les Allemands indexer ce dernier à leur mark, ce qui revenait à leur accorder un avantage économique d’autant plus fondamental que nous n’avons pas mené dès les années 90 les réformes difficiles qui auraient pu nous permettre de rester dans la roue de l’Allemagne.  

Ils ont façonné l’esprit des constitutions selon leur modèle politique basé sur la décentralisation et l’ordolibéralisme qui "offre des règles parfaitement adaptées à la gestion d’une union économique et monétaire rétive à toute intégration politique. Soucieux de préserver leurs souverainetés, les États membres ont ainsi mis en place un fédéralisme tutélaire peu démocratique, axé sur des principes de rigueur et de surveillance multilatérale. En réalité, l’ordolibéralisme originel ne s’arrête pas à l’économie. Il propose aussi une vision du monde dont le contenu social et humaniste interpelle et ouvre des débats sur l’Europe face à son avenir."

https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2016-3-page-26.htm

Donc en réalité les Allemands ont paradoxalement utilisé à leur profit les réticences des Etats-Nations à consentir des abandons de souveraineté, c’est donc plus complexe qu’une simple opposition binaire entre souverainisme et éuropéisme.

La difficulté des Français en Europe sont liées au fait qu’ils ont avalé depuis 40 ans les mensonges de leurs élites qui ont menti, délibérément ou par omission, sur la véritable nature des institutions européennes. 

L’ordolibéralisme n’est qu’un néolibéralisme adapté à la mentalité germanique basé sur une gouvernance par le droit (les fameuses "normes") qui correspond tout à fait aux modalités imposées par la commission européenne (dominée par les Allemands et leurs "alliés" des pays du nord).

Un article qui fait le tour du sujet : 

http://l-arene-nue.blogspot.fr/2015/08/lordoliberalisme-allemand-comment-il.html 

C’est pourquoi la monomanie caricaturale anti-allemande de Todd sur le sujet est pathétique et ridicule de la part de quelqu’un qui prétend produire une pensée objective, mais il y a également Rougeyron du côté des "souverainistes" de droite qui tombe dans la même facilité avec une couche de franchouillardise en prime vis-à-vis des "boches".

Les "boches" ont habilement manœuvré, voilà tout. Au lieu de chercher à faire renaître une puissance géopolitique qui se heurtait depuis un siècle à des obstacles à la fois externes et internes, ils ont subtilement modifié les règles du jeu économique en leur faveur, ou plutôt non, en faveur de leur modèle de société, ce qui leur a fourni un avantage concurrentiel que la réunification a concrétisé. 

Pendant ce temps-là, les Français se sont trop laissés aller à l’idée gaullienne que leur terrain de jeu était toujours mondial et que les concurrents naturels de la puissance française étaient les USA ou la Russie. Même les élites néolibérales françaises ont toujours préféré les institutions internationales (FMI, OMC) aux institutions européennes, où la France est aujourd’hui sous-représentée. La bombe nucléaire, l’emphase droit-de-l’hommiste, les interventions militaires aux quatre coins du monde, l’universalisme, la "deuxième ZEE du monde" (inexploité de peur d’être qualifié de colonialisme, donc essentiellement inutile et coûteuse)... tout cela a concouru à porter un regard un peu abstrait et condescendant sur les affaires européennes. 

Pour le dire de manière imagée, on a laissé les clés de l’Europe aux Allemands, les Allemands en ont fait ce qu’ils voulaient.


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