csimon 27 février 2014 16:23

Bonjour,

je suis l’auteur et réalisatrice de ce documentaire.

Il est monté de telle sorte que chacun soit libre de se faire sa propre opinion.

 

En revanche, je peux apporter un éclairage sur certaines de vos remarques :

- ce ne sont pas des « écoles expérimentales », mais des écoles publiques et d’inspiration Montessori, dont la pédagogie pour lutter contre les stéréotypes est impulsée par le gouvernement suédois depuis 1998. La pédagogie neutre telle qu’on la voit dans le film est en place plus ou moins telle quelle, depuis 2007. A noter néanmoins qu’elle n’est pas figée mais constamment discutée au sein de l’équipe pédagogique, ce que l’on voit bien dans le film. La conclusion est à chaque fois de laisser chacun faire comme bon lui semble. Ce qui certes, est très loin de nos manières de faire en France. 10% des écoles maternelles en Suède travaillent de la sorte.

- cela peut nous surprendre, mais un 3ème pronom personnel existe dans la langue suédoise, « hen », en plus du "il" (han) et du "elle" (hon). C’est un pronom neutre. Comme il existe un 3ème pronom neutre en allemand ("es" qui est le pronom pour les noms personnels neutres comme la petite fille « das Mädchen », ou l’enfant « das Kind ») ou en anglais pour les objets ("it"). Dans certaines langues (en finlandais), il n’y a qu’un seul pronom personnel ("hän"), il n’y a pas de "il" ni de "elle". Dans d’autres langues, en persan, en langue mongol, en grec ancien, il y a aussi ce même 3ème pronom personnel neutre pour parler de l’être humain en général, pour désigner n’importe quel être humain.

Ce pronom « hen » n’était plus employé depuis des décennies, et a été réinvesti par le mouvement féministe à la fin des années 2000. Il fait polémique dans la société suédoise, ce que l’on peut voir dans le film (dîner entre parents, discussion entre pédagogues, publicité suédoise, menaces à l’encontre de ces écoles).

Le pronom "hen" ne remplace pas le pronom il ni le pronom elle, il est utilisé quand on parle d’une personne, d’un individu, en tant qu’être humain, sans avoir besoin de spécifier son sexe. Il évite de dire et d’écrire il/elle, il permet de protéger une personne ou de garder l’anonymat d’une personne. Par exemple, si il est arrivé qqch à qqun, dans la presse certains journaux ont adopté le hen dans certaines de leurs chroniques où le fait de savoir le sexe de la personne n’est pas la préoccupation centrale (quand il y a eu des blessés dans un incendie, des personnes tuées ds un accident de voitures..).

En français ce n’est pas possible, nous avons le « on » mais il désigne un groupe, pas un seul individu. Mais dans d’autres langues c’est possible, et c’est parfois la seule possibilité (comme en finlandais). Cela n’empêche pas le fait que les individus ont un sexe même si on ne le désigne pas tout le temps. Par ailleurs, ce pronom existe dans la langue persane, ce qui n’empêche pas que cette culture montre aujourd’hui une certaine forme de sexisme (droits des femmes différents des droits des hommes).

Je ne fais pas un plaidoyer de ce 3ème pronom neutre, je l’explique, car il n’est pas facile à appréhender. Chacun en pensera ce qu’il veut. Simplement, l’idée est d’admettre qu’il y a différentes sociétés et différentes cultures, qui ont créé des langues différentes et qui en ont une certaine pratique.

 

- cette école ne met pas des jupes aux enfants, les "jupes de danse" (comme ils les appellent) sont à la disposition des enfants, ils les mettent si ils le souhaitent. On peut voir qu’elles sont accrochées sur un fil et que ce sont les enfants qui les prennent. Effectivement ce n’est pas très clair sur cette scène. Mais à 2 autres moments du film vous pouvez voir que seuls quelques enfants en portent. Elles sont à disposition comme d’autres accessoires avec lesquels les enfants se déguisent (chapeaux, foulards..).

Après, certains pourront trouver ça anormal et considérer que le rôle des pédagogues est d’enseigner aux garçons que les jupes c’est pour les filles. Le documentaire n’empêche personne de penser comme ça. Il montre une autre manière de faire, qui peut permettre à ceux qui le souhaitent de se poser des questions sur notre propre manière de faire.

 

- dans ces écoles il y a un tiers d’hommes. Cela se voit peu, effectivement. C’est malheureusement pour des raisons d’autorisation de tournage. Les hommes étaient moins ouverts à ce qu’on les filme. C’est dommage car ils avaient des choses très intéressantes à dire. On les voit quand même à la réunion de début d’année, dans la cour, et à d’autres moments. On a tout de même la parole de Martin lors d’une réunion, qui dit qu’on peut l’appeler comme on veut, "il, elle, ce, ça", et qu’il s’en fiche.

En complément : La directrice choisit les membres de ses équipes pédagogiques pour qu’elles représentent au maximum l’ensemble de la société. Il y a donc des personnes jeunes et plus âgées, des personnes classiques (comme Catherine la pédagogue principale de Justus) et des plus excentriques, des hommes et des femmes, des personnes de cultures différentes (il y a même une femme voilées que l’on voit bien à la réunion de début d’année).

A noter aussi qu’en Suède il y a 1 encadrant pour 5 enfants et que les horaires de travail des parents sont moindres que les nôtres. Le congés parental est aménagé pour les 2 parents et les entreprises ne trouvent pas ça étonnant qu’un père demande son congés paternité ou même un temps partiel.

 

Et deux réponses aux questions implicitement posées :

- le papa de Justus (le "contradicteur" comme vous l’appelez) n’est pas d’accord sur l’utilisation du pronom "hen". Pour son explication, nous aurions aussi voulu en savoir plus, mais il n’a rien dit de plus que ce que l’on a monté. Il trouve que c’est négatif et que cet emploi du hen va mourir tout seul. En revanche, il est 100% d’accord avec le reste de la pédagogie de ces écoles dont l’idée de base est de proposer toutes les possibilités aux enfants pour qu’ils ne se limitent pas aux seules possibilités admises pour leur sexe. Dans le film, on le voit rire et s’amuser avec son fils quand il se met en robe. Et nous étions présent : ils s’amusaient vraiment, détendus et complices avec leurs enfants.

Je lis ici que Justus "a honte" quand il est en robe, alors pourquoi mettrait-il cette robe ? Cela peut sembler bizarre mais je vous assure qu’il s’amusait avec sa soeur, personne ne l’a obligé à la mettre. Nous avons passé du temps avec cette famille, pendant une année de tournage, nous avons posé toutes les questions pour comprendre leur manière de penser. Et ils trouvent ça bien que leurs enfants essaient tous les rôles en se déguisant avec tous les déguisements, que leurs enfants soient libres de choisir leur voie et faire ce qu’ils aiment, que ce soit dans le stéréotype de leur sexe ou non.

Il n’y a finalement rien de nouveau à ce que les enfants s’amusent à endosser tous les rôles. Il n’est pas rare qu’en tant que parent, on ait vu un jour son enfant essayer nos vêtements, et les garçons essayer les vêtements de leur soeur. Ce qui est nouveau peut-être, ou étonnant, pour certains, c’est la réaction des parents qui ne disent pas à Justus que ce n’est pas un déguisement pour un garçon, mais qui s’amusent et rigolent avec lui quand il fait ça.

 

- En bons suédois, oui, ils écoutent Abba, comme nous on écoute Claude François ou Johnny, ou Goldman… merci de noter que l’on entend aussi bien d’autres musiques dans ce film.

 

- et une dernière réponse car vos remarques ne sont pas toujours honnêtes intellectuellement : vous soulignez les garçons qui aiment les voitures et la petite fille qui ne répond pas. Effectivement. Elle ne répond pas non plus quand on lui demande si elle aime la jupe qu’elle porte. Elle répond « là c’est violet » en montrant l’élastique de la jupe. On peut aussi penser que cette petite fille est timide.

Quant aux garçons qui disent qu’ils aiment danser avec ces jupes, c’est le petit garçon blond, Lou, qui le dit de lui-même.

Je veux dire par là que lorsqu’on regarde les choses avec un regard orienté, on ne voit que ce que l’on veut voir. On peut aussi essayer de regarder ce film avec un regard plus objectif et établir que c’est une autre culture, qu’il n’y a donc pas lieu de tout comparer et de s’imaginer tout transposer tel quel à d’autres cultures, mais que leurs pratiques peuvent nous permettre de faire avancer la réflexion qui est en cours sur la meilleure manière de construire une société avec plus d’égalité.

 

Les suédois de ces écoles, dont l’opinion est partagée par un certain nombre, pensent que l’égalité passe par la liberté. Selon eux, l’égalité entre chaque individu, entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les individus de couleurs, et toute autre forme de discrimination, passe par la possibilité et la liberté de choisir sa propre voie, qu’elle soit dans le stéréotype de son sexe ou non. Une femme footballeuse, chef d’entreprise avec un salaire équivalent à celui d’un homme à la même place, femme de science ou mécano, tout comme une femme au foyer, infirmière, secrétaire, ou un homme danseur, un homme au foyer ou puériculteur, tout comme un homme pompier, pilote d’avion ou ministre.

Ils pensent qu’en laissant les enfants libres de tout essayer et de choisir par eux-mêmes, c’est la bonne manière pour que ces petites personnes en construction acquièrent pour toute leur vie une grande confiance en eux, aient une forte estime d’eux-mêmes, et soient bien avec leur choix. L’idée étant que ceci leur permettra d’avoir l’assurance et la force nécessaire pour réussir dans la voie qu’ils auront choisi et également d’accepter les autres dans les choix qu’ils auront fait et leur diversité. Ils entendent cette pédagogie comme un combat contre toutes les formes de discriminations et comme la base nécessaire pour construire la démocratie.

C’est une manière de voir les choses. Et elle mérite certainement d’être discutée. Ce film laisse toutes les questions ouvertes, la discussion est possible pour ceux qui le souhaitent.

Bien à vous tous,

Chantal Simon


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