"La stratégie des tensions" Drac/Adinolfi
En s’appuyant sur la période qui va de 1965 à 1985, pendant laquelle la rue devient le terrain d’affrontement entre l’extrême gauche, l’extrême droite et les forces de l’ordre, appelle communément année de plomb, Adinolfi et Michel Drac développent le thème des stratégies des tensions.
Ces années-là n’étaient pas grises comme le plomb, elles étaient rouges, comme le sang des victimes. Il s’agissait du sang, c’est-à-dire de la violence exercée par des forces oligarchiques tantôt partenaires, tantôt rivales, en vue d’un seul objectif : le Pouvoir ! Comment le prendre, comment le garder.
Les années de plomb
Tout d’ abord pourquoi s’intéresser à cette période ? Parce qu’elle est une mine d’informations sur la dynamique des forces occultes qui se meuvent au sein de ce qu’il est convenu d’appeler « l’Etat profond ».Ces forces sont passées maîtresse dans l’art de dissimuler leurs actions derrière le désordre apparent, chose qu’elles ne peuvent faire, précisément, qu’en étant secrètement très organisée. C’est là, l’indice des progrès considérables effectués par les oligarchies contemporaines dans l’art délicat de l’ingénierie des perceptions et du contrôle social indirect.
Le terrorisme avait été en Italie un instrument de gestion de la transition qui devait conduire cette colonie de l’Empire anglo-saxon des structures de contrôle mises en place en 1945, pour maîtriser un pays ruiné par la guerre, à celles développées à la fin des années 80, pour conserver cette maîtrise sur un pays désormais reconstruit.
Les enseignements de cette enquête sur l’Italie des années de plomb doivent être intégrés car l’histoire se répète mais cette fois au niveau global : Nous sommes entrés dans une crise structurelle du capitalisme qui nécessite une transition dans la gestion globale des ressources. Cette transition consiste à réserver l’essentiel des futures capacités de consommation à une élite et à une minorité associée et en reléguant le reste de la populace dans une économie de pénurie dans le monde réel. Comment les élites vont-elles gérer la transition ? En usant de techniques d’ingénierie sociale pour gérer les masses, et si ces mécanismes ne sont pas suffisants, les classes dirigeantes seront forcées d’étendre leur pouvoir pour contenir ces masses par la violence et c’est là qu’intervient le terrorisme et la stratégie de la peur !
Le chaos n’est pas l’ennemi des classes dirigeantes, il est au contraire devenu la stratégie privilégiée du pouvoir. Le chaos n’est pas un gouffre mais une échelle.
La politique, dans les très grands systèmes fédérateurs, est toujours l’art du contrôle de la majorité par les minorités ; le contrôle, désormais, utilise le chaos plutôt que l’ordre.
Les années de plomb de ce point de vue sont un véritable laboratoire, avec, au niveau des véritables organisateurs de la violence, des centrales de renseignement étrangères alliées à des réseaux locaux plus ou moins occultes, ce qui resitue les « terroristes » à leur vraie place : ou des exécutants manipulés, plutôt à l’extrême-gauche, ou de simples lampistes, plutôt à l’extrême-droite.
La stratégie des tensions
Les années de plomb, ce fut d’abord une longue décennie d’infiltrations en tout genre. Infiltration des groupes terroristes par la police, infiltration de la police par les divers services secrets italiens, infiltration de tout le monde par la mafia pendant que des centrales étrangères, principalement américaines, mais aussi britanniques, françaises, allemandes et israéliennes, manipulaient tantôt un acteur, tantôt un autre. La plupart des forces en présence ont passé le plus clair de leur temps à créer de fausses pistes conduisant à d’anciens amis devenus ennemis, qui pouvaient d’ailleurs à tout moment redevenir amis. Se méfier, donc, d’une expression simpliste comme « stratégie de la tension ». Le simple fait d’écrire cette expression au singulier, c’est, déjà, ouvrir la porte à une essentialisation contraire au bon sens. Il y a eu bien des tensions, et bien des stratégies.
Il semble que sur le moment, peu d’acteurs de cette histoire en aient perçu les ressorts profonds. Et il est même probable, étant donné l’extraordinaire complexité des manœuvres, qu’aucun n’a, à un moment quelconque, pu se flatter de savoir tout ce qui se passait, fût-ce dans les très grandes lignes.
Certes, il est facile, a posteriori, de se moquer des militants naïfs des années 60/70, qui se laissèrent si facilement manipuler, et des politiciens et policiers italiens aussi, qui les manipulèrent parfois sans comprendre qu’ils étaient eux-mêmes manipulés mais la complexité des manœuvres était indétricotable.
Le contexte Français actuel
La situation qui est en train de se créer dans les grands pays occidentaux, notamment en France est en effet dans une certaine mesure isomorphe à celle qui existait, dans l’Italie des années de plomb :
-un Etat faible, tombé sous l’emprise d’oligarchies plus ou moins mafieuses, plus ou moins rivales
-Le plus grand parti épouvantail d’Europe occidentale servant à justifier un bipartisme qui s’équilibre de plus en plus difficilement
-Un grand parti d’extrême gauche
-Le déclin du centre géostratégique anglo-américains et l’émergence de nouveaux pôles de puissance concurrents
-une société qui subit un changement anthropologique brutal, avec des troubles récurrents dans ses zones urbaines en expansion.
Le contexte est propice non à un choc de civilisation comme on le prétend, mais à des guerres civiles méta locales sur fond d’Islamisme, de conflits entre conservatisme et modernité, de conflits géopolitiques globaux, d’épuisements des ressources, le tout bien entendu chapeauté par des Etats profonds cherchant chacun à tirer la couverture de leurs cotés et à manipuler les masses hystériques.
On risque de se retrouver dans une situation d’une complexité aussi extrême que les années de plombs
Peut-on y échapper ? Cela semble difficile, nous vivons en psychocratie, où les émotions l’emportent sur le rationnel, la vérité ne compte pas, à la limite elle n’existe pas, n’existe que ce que l’on fait croire aux gens, sujette à l’aveuglement, la promptitude d’une collectivité à se précipiter dans un néant tenu pour salvateur relève d’une constante anthropologique. Difficile de tenir un discours rationnel et conséquent dans le cadre d’une psychose collective, les gens dans ce cadre ne veulent pas d’analyses complexes, ils veulent des responsables et des têtes sur des piques.
Mais il existe quelques pistes pour échapper qui peuvent se résumer en deux points :
1. La définition de l’adversaire. Répondre à la question décisive : qui est l’ennemi ? Adinolfi qui a fondé le mouvement Terza Posizione l’a définit pour l’Italie des années de plombs : l’ennemi, ce n’était plus l’alter ego gauchiste ; l’ennemi, commun aux opposants italiens de gauche et de droite, c’était une structure globale de domination, formée par l’alliance objective des oligarchies nationales et transnationales. Le malaise venait des outils de contrôle politique et culturel développé par et pour cette structure globale de domination : la société de consommation, l’omniprésente télévision.
2. Eviter l’ horizontalisation des luttes. Des pauvres (juif, Musulman, chrétiens, athée ou agnostique) qui se battant contre d’autres pauvres (juif, Musulman, chrétiens, athée ou agnostique) dans la boue, voilà le piège à éviter. L’adversaire ne doit pas être défini par sa religion, son origine ethnique, son orientation sexuelle etc. mais par sa fonction au sein du système. Si le dit adversaire change ne joue plus sa fonction pour la structure de domination, il ne doit plus être qualifié comme tel.
Source : erlorraine
Préface d’orchestre rouge