La Chine se prépare à être coupée du système de paiement en dollars !
Ce mardi 23 juin, la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine pourrait bientôt s'étendre sur les devises puisque les Américains envisagent d'interdire à Pékin de commercer en dollar. Face au risque que Washington écarte Pékin de toute une partie de l’architecture mondiale des paiement en devises américaines, le régulateur financier chinois veut que la Chine se prépare à être coupé du système de paiement en dollars. Le sujet est abordé par Benaouda Abdeddaïm dans sa chronique dans l'émission Good Morning Business présentée par Christophe Jakubyszyn sur BFM.
En Chine, le régulateur financier veut que le pays se prépare à être coupé du système de paiement en dollarsEn Chine, le régulateur financier veut que le pays se prépare à être coupé du système de paiement en dollars
Publiée par BFM Eco sur Mardi 23 juin 2020
La domination sans partage du dollar
Malgré tous les efforts de la Russie, de la Chine, de l’Iran et d’autres pays pour s’affranchir de leur dépendance envers le dollar américain, malgré les appels du FMI et d’autres organismes internationaux à développer une monnaie mondiale alternative pour remplacer le dollar, malgré une contestation de l’hégémonie du dollar qui est de plus en plus forte ( la part du dollar dans les réserves de change des banques centrales représentait 71,5% à la fin 2001 et 62 % en 2009), le dollar reste l'hyper-monnaie mondiale qu'il est depuis plus de cinquante ans.
Selon les derniers chiffres de l’international Monetary Fund, le billet vert représente aujourd’hui 60,89 % des avoirs des banques centrales, son minimum depuis 20 ans. Cependant, même si sa part a chuté, cette proportion reste sans commune mesure avec la taille de l’économie américaine, qui ne représente plus qu’environ 20 % de l’économie mondiale. L’euro pointe à la deuxième position (20 %), très loin devant le yen japonais (5,7 % ) et la livre sterling (4,62 %).
Mais pour vraiment prendre la mesure de l’ampleur de la puissance de la devise américaine, il faut noter que près de 87 % des transactions quotidiennes en devises étrangères sont effectuées en dollars américains. Sur le marché des changes, le dollar règne. Et comme les États-Unis peuvent intervenir sur les transactions en dollars ( toute transaction effectuée en dollars doit être compensée sur le sol américain), les canaux de paiement s’en retrouvent fortement dépendants de la puissance américaine, ce qui lui donne un levier de contrôle qui constitue un atout stratégique considérable : être exclut du réseau interbancaire SWIFT ( Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, société détenue par les grandes banques mondiales, qui est destinée à remédier aux inconvénients des flux papier, dont le siège se situe en Belgique mais qui est essentiellement contrôlé depuis les Etats unis, plus de 11.000 institutions financières de 200 pays y sont connectées ) comme c’est le cas de la banque centrale iranienne et d’autres organismes iraniens, équivaut à une mise à mort financière. Washington a donc le pouvoir de couper l'accès au système de paiements international à des États qui ne se soumettent pas à son diktat.
Les contre-mesures chinoises …
Constatant que quasiment toutes les transactions mondiales passent par le réseau américain, les dirigeants chinois ont construit leur propre réseau de transactions bancaires « CIPS » (concurrent chinois de Swift). Ils accélèrent également l’internationalisation de la monnaie nationale, pour qu’elle soit pleinement échangée sur les marchés des changes mondiaux et que le yuan soit en position de concurrencer le dollar en tant que monnaie mondiale. La Bundesbank a pris la décision l’été 2017 qu’elle allait dorénavant incorporer le yuan dans ses réserves de change, une manière de reconnaître la puissance croissante de la Chine. Ce fut aussi le cas lorsque le FMI a décidé d’intégrer le yuan dans le panier de ses monnaies de réserve à l’automne 2016. Cela constitue pour la puissance chinoise un franc succès symbolique, la portée du geste étant autant technique que politique. Le yuan chinois est la 6e devise la plus utilisée du monde et est de plus en plus utilisé par les institutions financières dans le cadre de paiements internationaux.
… mais qui ne suffisent pas
Cependant, si l’Empire du milieu est devenu la deuxième économie de la planète et la première puissance industrielle, le yuan ne constitue que 1,96 % des avoirs des banques centrales. La monnaie chinoise est encore marginale dans le système mondial.
Un pays dont la monnaie est utilisée internationalement doit posséder un marché financier liquide et vaste car ces critères reflètent les préférences des investisseurs et des banques centrales. Et pour atteindre cet objectif, il doit libéraliser et dérèglementer ses marchés financiers afin de faciliter la mobilité des flux de capitaux et mettre à disposition des prêteurs et des emprunteurs une gamme importante d’instruments financiers.
Or, ce modèle libéral s’oppose au modèle dirigiste Chinois qui est l’héritier d’une longue tradition de construction bureaucratique. Le modèle chinois est celui d’une économie de marché dirigée par un Etat stratège développeur à la tête duquel se trouve le gouvernement et le parti communiste chinois qui fixe les grands objectifs et met en place les cadres institutionnels. Le pilotage des marchés par le gouvernement joue donc un rôle déterminant dans ce capitalisme dirigé. Ce modèle dirigiste qui a fait des merveilles dans l’accomplissement du programme de modernisation industriel peut s’avérer un obstacle infranchissable lorsqu’il s’agit de l’internationalisation du yuan. En effet, la propension chinoise à intervenir sur les marchés financiers, à encadrer strictement les taux de change ( Pékin ne veut pas qu'un yuan fort bride la machine à exporter), à contrôler les capitaux ( des restrictions concernant les mouvements financiers entrants ou à destination de l’étranger ont été mises en place après la dévaluation-choc du yuan en 2015, qui provoqua une fuite des capitaux à l’étranger) a pour conséquence que le marché financier chinois est peu attractif pour les investisseurs.
Les dirigeants chinois pourraient décider de réduire leurs interventions, d’ouvrir leur marché financier et de permettre au taux de change d'évoluer selon le marché, seulement cela créera de nouvelles vulnérabilités : la perte du contrôle de ses flux financiers signifierait pour Pékin que son taux de change deviendrait tributaire des décisions des investisseurs et des chocs de confiance liés aux crises économiques et financières, ce qui aurait pour conséquence une perte de contrôle politique et une perte d’autonomie qui mènerait à la constitution de rapports de dépendance avec les centres financiers occidentaux. Être la plus grande monnaie de réserve n’est pas forcément une sinécure.
La configuration internationale met la classe dirigeante chinoise face à un dilemme cornélien : comment s’émanciper du dollar sans faire du Yuan une monnaie de réserve, ou si cela n’est pas possible, comment faire du Yuan une monnaie de réserve sans s’engager dans une politique de libéralisation et de dérégulation financière qui obligerait la Chine à établir des relations asymétriques avec des marchés transnationaux qui la domineraient ? Et tout cela en tenant compte du fait que même lorsque les marchés financiers chinois seront suffisamment libéralisés et dérégulés, rien ne garantit que le yuan soit préféré au dollar.
Conclusion
Le système monétaire international semble s'acheminer lentement vers une structure un peu plus "oligopolistique" dans laquelle le dollar resterait dominant mais concurrencé par d'autres monnaies. Cependant, sauf effondrement systémique brutal des Etats unis, aucune monnaie n’est près de remplacer le dollar, les transitions sont longues pour les grandes monnaies de réserve, l'ascension monétaire se révélant beaucoup plus lente que l'ascension économique, le remplacement de la livre sterling par le dollar a pris plusieurs décennies et deux guerres mondiales. Le rôle dominant du dollar ne résulte plus tant aujourd'hui de ses qualités propres que de l’absence de concurrents crédibles.
Source :