gregoslurbain gregoslurbain 19 mai 2017 12:51

" L’usage normatif du multiculturalisme présente un danger à la fois pour les individus, les groupes sociaux et la société dans son entier, car il entretient la confusion entre, d’une part, la poursuite de l’émancipation et du combat pour l’égalité et, de l’autre, la quête d’une reconnaissance identitaire individuelle ou minoritaire. Ce qui favorise et diffuse, en retour, l’insécurité culturelle dans l’ensemble de la société suivant un cercle identitaire vicieux. Faire ainsi passer la reconnaissance identitaire pour une forme de redistribution – faire passer politiquement le besoin de la première pour une nécessité au regard de la seconde – conduit à des conséquences destructrices pour le lien social. On a vu plus haut qu’une telle manipulation du social au nom de l’identitaire pouvait d’ailleurs devenir une stratégie.

D’abord, cela isole les membres des groupes minoritaires du reste de la population en refermant sur eux le piège identitaire, celui précisément de la discrimination dont ils pensaient pouvoir sortir en mettant en avant le critère au nom duquel ils étaient discriminés. L’exemple des programmes de discrimination positive (affirmative action), notamment, dans les universités américaines montre bien ce genre d’effets pervers pour les étudiants qui en ont bénéficié eux-mêmes. Ils sont en effet souvent considérés, au cours de leur vie professionnelle, comme titulaires de diplômes qu’ils ne méritent pas en raison des conditions dérogatoires d’accès à l’université dont ils ont bénéficié.

Ensuite, cela renforce l’individualisme et le délitement de la solidarité sur un mode universel dans la société en spécifiant les enjeux par « population-cible » et en individualisant les risques et les protections afférentes. Vouloir à tout prix faire passer pour un combat en faveur de l’égalité des mesures réservées à des personnes ou des populations spécifiques en raison de critères identitaires minoritaires, c’est prendre le risque de mesurer l’ensemble de l’action publique à l’aune de tels critères, et donc de renforcer encore la dérive libérale d’une « société des individus » au détriment, précisément, de l’égalité elle-même.

Cela impose en effet aux promoteurs des causes « minoritaires » de faire passer à tout prix, y compris de mensonges et de faux-semblants s’il le faut, leur combat pour la reconnaissance d’une identité spécifique pour une lutte sociale qui bénéficie nécessairement à toute la société. Pour ce faire, il est indispensable, par exemple, de présenter les inégalités comme la conséquence des préjugés qui traversent la société plutôt que du système social lui-même, ce qui empêche toute critique sociale de se déployer correctement et, donc, toute remise en cause en profondeur de celui-ci. Il est également indispensable de faire passer les personnes discriminées en raison de leur identité culturelle pour opprimées et dominées afin d’assimiler la lutte pour leur reconnaissance à une lutte pour leur émancipation." (l’Insécurité Culturelle / Laurent Bouvet)


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