Éric Guéguen Éric Guéguen 21 octobre 2014 15:35

Avec plaisir. Voici. Et pour ce faire, je me permets de remettre tout ce que j’ai dit, c’est important :

 
"... dans un panel de plusieurs millions d’habitants, consommateurs invétérés, qui ne se connaissent ni d’Ève ni d’Adam et à qui l’on a désappris la vie en communauté, le principe même d’élection est, selon moi, d’essence marchande."
 
Ce que je veux dire par là, c’est que ce qui est à la base de tout ça, de cette révolution anthropologique propre à l’Occident chrétien, c’est l’individualisme. Non pas l’individualisme dans son acception courante et moderne, celui dénonçant un égoïsme rampant. Non. L’individualisme que je mentionne est cette conviction, inédite dans l’histoire, que les individus ne sont pas les produits de leur communauté d’appartenance, mais bel et bien ses fondateurs. C’est le mythe de l’état de nature célébré par Hobbes. C’est une aberration totale, une simple fiction à laquelle Hobbes a recours pour aider à mettre fin aux conflits politiques et religieux de son temps, mais qui a fini par percoler dans l’histoire (portée par Locke, puis Rousseau, puis Kant et les droits de l’homme, etc.) et convaincre implicitement tout un chacun qu’il était ayant droit et que l’État n’était là que pour satisfaire ses besoins. La communauté n’ayant plus de réalité à elle, autre que de servir les individus qui la composent, elle devenait de ce fait "société", concept déjà en soi économique et non plus politique, car fondé sur l’idée d’un contrat ("social"), et non plus liée à un statut (notre animalité politique, ou si vous préférez notre réflexe grégaire inné).

 

Au XIXe siècle, par suite, le gouvernement représentatif s’est mis en place, hybride entre la démocratie grecque mythifiée et l’idée d’une nouvelle aristocratie fondée sur la fortune bourgeoise (s’appuyant sur les fameuses "Lumières"). Il fallait alors à la fois contenter les masses nouvellement émancipées et répondre à l’impératif de gestion. Ce qui a été fait est la chose suivante : une parcellisation du pouvoir formel entre les petites mains (suffrage universel), couplé à une professionnalisation en hautes sphères donnant à quelques nantis les rênes de la société (pouvoir réel) tout en donnant à leurs mandants l’illusion d’une "souveraineté", concept piège par excellence, puisqu’il n’y a pas de pouvoir sans exercice effectif de celui-ci. Néanmoins, la "société civile" y trouvait son compte, car, débarrassée du fardeau politique tout en se préservant par les urnes du risque de tyrannie, chacun pourrait bientôt vaquer à ses petites occupations privées, quitte à devoir se rendre à échéance régulière dans les bureaux de votes pour opter pour un représentant comme l’on choisit un simple produit ménager. Et je conclurais par une citation de Bernays, qui en dit long à ce sujet :

 

« On peut amener une collectivité à accepter un bon gouvernement comme on la persuade d’accepter n’importe quel produit. C’est tellement vrai que je me demande souvent si les dirigeants politiques de demain, qui auront la responsabilité de perpétuer le prestige et l’efficacité de leurs partis, ne vont pas entreprendre de former des politiciens qui seraient aussi des propagandistes. » (Propaganda., p. 101).

 

Souhaitant vous avoir répondu,

EG


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