Éric Guéguen Éric Guéguen 10 novembre 2013 15:24

Vous n’y êtes pas mais vous brûlez.
 
Aristote parle bien de la naturalité de la cité, c’est-à-dire de son développement spontané et inéluctable. Machiavel pense la cité comme conforme à LA cité, à savoir Rome et son institution fratricide : Romulus tuant son frère. À partir de là, tout acte politique est nécessairement avant toute chose un acte de guerre potentiel en vue d’une préservation. Pour Aristote, la politique régit toute la vie des hommes et ne se limite nullement à la guerre. La situation de conflit et les grands moyens pour y remédier ne sont pas niés par Aristote, leur nécessité momentanée est prise en compte, mais ce n’est qu’un moment de la politique.
Au rebours, Machiavel n’a de cesse de nous donner des exemples de révoltes, de crimes, de prise de pouvoir dans le sang, de conflit fraternel, de coups bas, et il exalte la figure de l’homme providentiel au travers de l’histoire de la République romaine. Si ces exemples sont historiques, l’histoire de Rome ne s’y limite pas, fort heureusement.
Ce qu’il faut bien avoir à l’esprit, c’est que Machiavel écrit à une époque où l’unité italienne devient une nécessité impérieuse et que l’Église et les guerres de religion sont un frein à cette unité. Il lui faut donc débarrasser, dans un geste laïc outrancier pourrait-on dire, toute la politique de la religion, c’est-à-dire de la sphère morale. Il jette le bébé avec l’eau du bain.
Encore une fois je ne dis pas que Machiavel est immoral, je dis qu’il est amoral, que la morale n’est pour lui qu’un moyen au service de l’ordre dans la péninsule italienne de son temps.
Quant à Aristote, son naturalisme n’implique pas forcément le recours au divin, les lois de causalité naturelles sont accessibles à tous et ne demandent pas de croyance particulière, juste le sentiment que la philosophie est avant toutes choses une recherche des causes premières, donc une spéculation, certes, mais une spéculation s’appuyant sur la constatation de la vie vécue, et la vie vécue est toute politique, sans pour autant se résumer à la perpétuelle guerre de tous contre tous (Hobbes, lecteur de Machiavel) ou encore au besoin d’exister au travers de l’adversité (Schmitt, lecteur de Hobbes, lecteur de Machiavel).
Aristote constate la naturalité de notre condition politique et l’évidence de finalités spécifiques ; Machiavel opère quant à lui une lecture historique de l’avènement de la cité, toute volontariste et violente, et rend l’éthique accessoire en mettant un terme au règne des fins. Spinoza saura retenir la leçon.
 
Strauss avait parlé des trois grandes vagues de la modernité, qui se rattachent en fait aux trois plus grands penseurs politiques modernes à ses yeux : Machiavel - Rousseau - Nietzsche :
1. Machiavel qui cristallise la crise anti-théologique ;
2. Rousseau, défenseur de la foi au sein de Lumières presque acquises à l’athéisme (Rousseau est le scrupule moderne, l’anti-Lumières parfois) ;
3. Nietzsche, le retour de bâton, qui assume le tournant moderne jusqu’au bout et prête le flanc au nihilisme.
Tous trois sont de grands historicistes.


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