Éric Guéguen Éric Guéguen 29 décembre 2012 15:04

@ Machiavel1983 :
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"Du pain et des jeux" :
Il y a une différence notoire entre les Romains et nous : ceux d’entre eux à avoir réellement eu accès au savoir et à avoir eu de l’énergie à y consacrer étaient bien peu nombreux au regard de l’ensemble de leurs populations administrées. Pas de "complot" là-dedans, une fois de plus, mais le simple contentement des élites à n’avoir pas, eux-mêmes, les moyens d’inculquer leur savoir à autant de monde. Ce qui n’est pas - loin s’en faut - le cas de la France contemporaine.
Prenez la France du XVIIIe siècle : 85% de la population était analphabète et paysanne. "Du pain et des jeux" eurent été pour eu presque une évidence. Ces paysans, effectivement, ont alors dû se laisser mener par la bourgeoisie, car nanti d’un patois et d’une simple fourche, on ne va pas bien loin.
Prenez la France il y a cinquante ans : malgré le peu de journaux à l’époque, une seule chaîne de télé, la "voix de son maître, et l’"enfer universitaire" d’alors que déplorent les soixante-huitards, beaucoup de gens avaient des bases solides pour comprendre le monde qui était le leur. Mais ce monde s’est complexifié depuis...
Aujourd’hui, en France et dans de plus en plus de pays, jamais la masse n’a eu autant accès au savoir, JA-MAIS (grâce, notamment, à l’Internet). Et paradoxalement, on a fait de ce savoir un produit de consommation comme un autre, c’est-à-dire que de manière concomitante, la "culture" est devenue "générale" et a inclu des choses aussi étrangères à la compréhension du monde que les faits et gestes des peoples, les dernières tendances de la mode, la course à la haute-technologie et que sais-je encore... Bref, de manière inédite, le savoir s’est démocratisé, et en même temps, l’inculture s’est généralisée.
Les masses ne veulent pas du savoir, elles veulent du pain et des jeux, comme auparavant, mais entre-temps, elles ont eu accès à ce savoir, c’est une différence de taille !!!
Je vais vous paraître "élitiste", à coup sûr, mais je m’étonne chaque jour de côtoyer des collègues ayant obtenu un certain crédit professionnel du fait de "bonnes" études et qui, à côté de ça, demeurent totalement ignorants de l’histoire de leur propre pays, d’un vocabulaire un peu plus poussé ou de l’actualité mondiale, s’en remettant toujours à ce qu’il est convenu de penser. Lorsque je leur dit que j’ai repris des études en philosophie, leur réponse est immanquablement : "Mais ça sert à quoi ? Tu vas gagner ta vie avec ça ?" Je pense que vous serez d’accord avec eux, comme l’immense majorité des gens autour de nous, ce qui ne vous donne pas nécessairement raison pour autant.
Donc, non, lorsque vous me dites que rien n’a changé sous le soleil, à mon sens vous vous trompez lourdement : les masses ont accédé au suffrage universel bien plus rapidement qu’elles ne sont devenues en mesure d’honorer ce suffrage par la maturité de leur raisonnement. Par contrecoup, le savoir, qui aurait dû être une fin anthropologique - et qui l’était de fait pour une poignée seulement - est devenu un simple moyen de consommation pour le peuple dans son entier. On a perdu en profondeur ce que l’on a gagné en étalement.
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Pour finir, j’ai enfin compris ce que vous entendez par "rapport de force". Il s’agit, il me semble, des éternelles hiérarchies qui structurent les nations. Or, ces hiérarchies sont consubstantielles à l’humanité. Je veux dire par là que le principe de hiérarchie est la colonne vertébrale des peuples et qu’elle découle naturellement des disparités inexorables entre les individus.
MAIS... en substituant "hiérarchie" à "rapport de force" dans votre discours, que constate-t-on ?
Eh bien que le monde ancien fonctionnait sous couvert de hiérarchies basées uniquement sur la force (effectivement), alors que le monde moderne a substitué au principe de force celui, bien plus soft, de mise à profit de la recherche du confort, égoïste, qui réside en chacun. Il ne s’agit aucunement dans ce cas d’une force exercée par les élites contre la base, mais au contraire d’un manque de force de la base contre ses propres penchants les plus pervers.
Autrement dit, nous sommes passés (en gros et pour faire vite, trop vite...) d’un monde ancien où les hiérarchies étaient iniques car basées sur le pouvoir autocratique et bestial de quelques-uns à un monde contemporain où les hiérarchies, iniques également, ne le sont plus qu’en fonction de ceux qui ont les moyens (financiers, forcément) de profiter des penchants pervers (susmentionnés) de la base.
Dans les deux cas, les hiérarchies sont iniques, mais n’ont rien à voir entre elles. Le principe de hiérarchie n’est nullement mis en cause (contrairement à ce que vous pouvez en dire en le réduisant à un rapport de forces, ou à ce que peuvent en dire ceux que l’idée même de hiérarchie rebute et qui seront toujours condamnés à être les cocus de l’Histoire).
Alors, comment établir la bonne et équitable hiérarchie ? La réponse n’est pas dans l’étude des complots, de la Bourse ou des petites sorties de tel ou tel homme "politique". La réponse est dans l’étude patiente de la philosophie politique qui n’attend que de nous voir de plus en plus nombreux à nous intéresser à elle pour nous livrer plus rapidement ses secrets.
Chimère me répondrez-vous ? Dans ce cas que le peuple se contente de son sort et qu’il cesse de geindre.


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